Critiques // Critique • «  Hiroshima mon amour » de Marguerite Duras au Théâtre des Abbesses

Critique • «  Hiroshima mon amour » de Marguerite Duras au Théâtre des Abbesses

Avr 16, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • «  Hiroshima mon amour » de Marguerite Duras au Théâtre des Abbesses

Critique de Denis Sanglard

©Mario Del Curto

« Hiroshima mon amour » où la passion fulgurante de deux amants qui n’auraient jamais dû se rencontrer

Au départ il y a le scénario de Marguerite Duras pour Alain Resnais en 1959. Aujourd’hui il y a la mise en scène de Christine Letailleur pour une « œuvre poétique, philosophique, politique ». Magistrale. Portée par deux acteurs incandescents. Elle, Valérie Lang, toute entière à son rôle, transfigurée, vibrante. Lui, Hiroshi Ota, d’une présence animale.

Ces deux là qui s’aiment sont dans cette passion déchirante et brève d’une douceur, d’une sensualité, d’une fragilité bouleversante. Pas de heurts, pas de pleurs. Le temps est suspendu. C’est un moment de grâce absolu. Il n’y a que l’urgence d’aimer, maintenant, là, tout de suite. Avec comme arrière plan l’horreur d’un passé récent dont chacun porte en soi encore les cicatrices. Elle qui fut tondue d’avoir aimé l’ennemi, lui qui vécut Hiroshima. Forts de cette mémoire, de leurs douleurs passées respectives, ce présent n’en est que plus miraculeux, fragile et intense. Ils se touchent à peine, ils parlent, beaucoup. C’est un long poème. Incroyable comme l’écriture de Marguerite Duras nous parvient avec autant de force et de justesse. Marguerite Duras, écrivain du désir fou, de la passion absolue, des amours déchirées. Qui trouvait dans l’amour, le désir, l’engagement, le déchirement cette liberté, cette émancipation sans laquelle rien ne peut être vécu pleinement. Valérie Lang est comme marquée, brulée, par cette écriture qu’elle s’approprie et qui éclate, splendide. Rien de l’exercice de style, non. Une incarnation vraie. Troublante même qui fait vaciller nos certitudes. L’impression indicible qu’il se joue entre elle et le texte quelque chose au-delà de la représentation même…

Christine Letailleur offre à ces deux acteurs une mise en scène engagée et résolue toute de légèreté, poignante. Une scène sans doute résume son propos. Scène bouleversante. Celle d’un long baiser où le temps est comme soudain aboli. Alors même qu’est projeté sur leurs corps et sur les murs un extrait terrifiant de « pluie noire » de Shohei Imamura où l’on voit les victimes d’Hiroshima déambuler, images insoutenables d’enfants aux chairs brulées. L’histoire individuelle rejoint brutalement l’histoire collective. L’intime le politique. Cette passion a bien pour hors-champs l’horreur de deux guerres passées mais si présentes dans la reconstruction  de ces deux personnages qui vécurent l‘insoutenable. Les personnages sont traversés de ce bouleversement historique là, comme ils sont bouleversés par cette passion qui les traverse. Christine Letailleur exprime toute la force, la violence du texte de Marguerite Duras en le replaçant avec justesse dans son contexte. Les projections vidéos d’Hiroshima qui embrasent parfois le décor et absorbent les personnages comme soudain happés par l’Histoire sublime cette passion au regard de l’effroyable cauchemar de ce qui fut l’horreur absolue. Sa direction d’acteur est exemplaire. Comme le choix logique d’un acteur japonais plus à même d’exprimer ce hors-champs, cet espace étranger qui donne à cette rencontre toute sa force, que ne pourrait sans doute pas s’approprier un acteur européen. Surtout, outre sa formidable présence, l’étrangeté magnifique de son accent, anguleux, donne à la partition musicale de Marguerite Duras un contre point formidable face à Valérie Lang, toute de légèreté grave. Les deux acteurs évoluent sur un plateau quasi nu, eux même parfois nus et pourtant dans leur sensualité si détachés. Si la première scène est un hommage à Alain Resnais, comme pour se débarrasser bien vite d’une référence attendue, la suite appartient à Marguerite Duras. C‘est son écriture qui est mise en scène. Christine Letailleur ne lâche rien et son propos est fluide et tendu qui oscille entre l’Histoire politique et l’histoire intime d’une passion hors norme. Un frottement qui s’opère discrètement mais qui demeure toujours prégnant. La mise en scène ne s’appesantit jamais, n’illustre pas non plus. Elle laisse entendre des silences, des trouées dans le texte qui font éclater le propos dans sa formidable modernité. Que nous dit Marguerite Duras et qu’avec intelligence met en scène  Christine Letailleur ? Comment vivre, penser, après l’horreur. Question fondamentale aussi bien au Japon après Hiroshima qu’en Europe après la Shoah. Un bouleversement radical qui devait redéfinir nos modes de pensées, ébranler nos certitudes. Il y eu un avant, un après. Ces deux amants là expriment cette capacité à la résilience, une réappropriation des événements historiques et intimes dans la reconstruction de soi. Un élan vital, une urgence, dont l’amour, et plus encore le désir ardent sont sans nul doute l’accomplissement. « Tu me tues, tu me fais du bien.» On peut ricaner comme certains devant cette phrase durassienne et pourtant c’est exactement ce que l’on ressent devant cette création. Elle nous tue, elle nous fait du bien.

Hiroshima mon amour

Marguerite Duras

Mise en scène et scénographie Christine Letailleur

Assistant mise en scène Pier Lamandé

Lumières Stéphane Colin

Son Fred Morier

Création vidéo Jérôme vernez

Régie Plateau Mathieu Pegorano

Avec Valérie Lang et Hiroshi Ota

Du 10 au 27 avril 2012 – 20h30- Dimanche 15h-Rélâche lundi 16 avril et dimanche 22 avril

Théâtre des Abbesses

31 rue des abbesses Paris 18

Réservation du mardi au samedi de 17h à 20h ; fermeture à 19h les jours de relâche

Métro Abbesses

www.theatredelaville-paris.com

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