Critique de Suzanne Teïbi

Saga américaine

Dans le cadre de la saison V des « Chroniques du Bord de scène », Nicolas Bigards poursuit son travail autour du mythe américain. Avec American Tabloid, l’adaptation du roman de James Ellroy, il nous plonge dans les dessous de l’accession au pouvoir des Kennedy. Son spectacle prend le goût du roman noir et se construit autour du cliché américain: les personnages aux costumes des années 50, cigarette à la bouche, ne manquent pas de nous questionner, en creux, sur le regard fantasmé que nous portons sur l’Amérique.

Dans un contexte de campagne présidentielle, le spectacle s’ouvre sur J. Edgar Hoover, et le complot qu’il monte en demandant à des agents du FBI d’infiltrer  l’entourage des Kennedy. Le spectateur assiste aux petites et grandes trahisons en suivant le parcours des agents Kemper Boyd et Ward Litell. Tout lui laisse à penser qu’il rentre dans la confidence: il devient témoin des complots, infiltrations et  autres passages à tabac.

American Tabloid est l’adaptation théâtrale d’un roman: il fait du théâtre avec ce qui n’en est à priori pas. Il faut donc que soit instauré un mode de narration. Ici, en face du personnage de Hoover, joué par la comédienne Judith Henry, Bigards rassemble un groupe d’une quinzaine de comédiens – principalement les élèves du Conservatoire de Bobigny – et en fait un chœur. Narrateurs démultipliés, vêtus du même costume d’homme, ces figures prennent en charge le récit et, tour à tour, les personnages Boyd et Litell, devenant finalement quasiment interchangeables. De fait, le spectateur ne saisit pas toujours les enjeux personnels de Boyd et Litell. Il se laisse surtout embarquer par des situations, au risque de perdre pied avec ce qui se raconte. Et cela alimente un mouvement général, le spectateur est plongé dans un univers fort, auquel il s’accroche, car c’est bien une ambiance qui est restituée ici. Ces situations – de violence, de complots, de règlements de compte et de conversations téléphoniques secrètes – posent la question de notre propre rapport au mythe américain, et au cliché du polar.

Parcours de spectateur

Dans les spectacles précédents de Nicolas Bigards, le spectateur déambulait sur le plateau, où des scènes pouvaient se jouer simultanément, et où il devait alors choisir ce à quoi il assistait, ce qui pouvait créer un sentiment de frustration mais aussi et surtout d’appropriation passionnante de l’expérience théâtrale. Ici, le spectateur choisit une place, et n’en bougera plus pendant le spectacle. Bien qu’il soit encore une fois physiquement au centre du spectacle, sa liberté de déambulation n’existe plus. Certes, les sièges sont placés de façon telle que chaque spectateur a un point de vue très singulier sur ce qui se passe, et que les comédiens jouent autour de lui et favorisent donc une immersion totale. Mais en terme de parcours du spectateur, l’expérience est clairement différente. Car si le spectacle aborde largement le prisme du point de vue, ici il nous en livre un, et le spectateur n’a pas d’autre choix que d’assister à la totalité de la proposition. Est-ce pour mieux être surpris au prochain épisode ?

American Tabloid
Texte: James Ellroy
Mise en scène: Nicolas Bigards
Traduction: Freddy Michalski
Scénographie: Chantal de la Coste
Adaptation: Stéphanie Cléau
Création son: Etienne Dusard
Création lumière: Pierre Setbon
Avec: Judith Henry, Lucie Laurent, Gaia Singer, Capucine Baroni, Margherita Bertoli, Elise Boch, Coraline Claude, Solène Cornu, Julien Cussonneau, Quentn Darmon, Alyssia Derly, Noémie Edé-Decugis, Sofia El-Fakhadi, Fanny Garin, Anaëlle Houdart, Marie Khazrai, Karine Pedurand
Du 12 au 21 octobre 2012
MC 93
vendredi et samedi à 20h30; dimanche à 15h30; lundi à 14h30; mardi à 19h30; relâche les mercredi et jeudi
9, boulevard Lénine – 93000 Bobigny
Métro Bobigny Pablo Picasso
01 41 60 72 72
www.mc93.com

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