Critiques // Critique . « Nouveau Roman » / Christophe Honoré. Au Théâtre de la Colline

Critique . « Nouveau Roman » / Christophe Honoré. Au Théâtre de la Colline

Nov 18, 2012 | Aucun commentaire sur Critique . « Nouveau Roman » / Christophe Honoré. Au Théâtre de la Colline

ƒƒƒ Critique Bruno Deslot

© Jean-Louis Fernandez

Douze auteurs en quête de personnages ?

Il y a un demi-siècle, un mouvement littéraire regroupant des écrivains appartenant principalement aux Editions de Minuit, pose la question suivante : « Peut-on continuer d’écrire aujourd’hui comme Balzac ? ». Le Nouveau Roman veut renouveler le genre romanesque qui date de l’Antiquité : l’intrigue passe au second plan, les personnages deviennent subsidiaires voire inutiles…raconter des histoires, oui, mais il faut se demander ce qu’écrire veut dire ?

On connaissait Christophe Honoré cinéaste, on le découvre homme de théâtre proposant une création à la mesure du thème abordé : une petite révolution qui dérange, étonne, interroge, invite à la réflexion. Après un succès consacré en Avignon l’été dernier, Nouveau Roman est repris à la Colline pour cette saison. La pièce a subi quelques coupes franches, ce qui est un moindre mal compte tenu des longueurs parfois maladroites de l’oeuvre, mais la proposition conserve son côté potache, gêne, divise par une forme de mauvais goût ce qui en fait tout l’intérêt comme Le Nouveau Roman divisait à l’époque et divise encore aujourd’hui.

Julien Honoré, frère de l’auteur, débute la pièce par une intervention inattendue qui donne le ton à une partition décalée. Son frère, Christophe a grandi en Bretagne, à Rostrenen précisément où le taux d’ensoleillement bat des records d’infériorité nationale ! Il lit peu et c’est au collège Edouard Herriot, en 5e, qu’il tombe par hasard sur Hiroshima mon amour de Duras ! C’est la révélation ! La rencontre devient obsessionnelle jusqu’à celle avec Enfances de Nathalie Sarraute, lu pour le bac français. Le troisième roman, c’est l’Amant de Duras, obtenu grâce au catalogue France Loisirs auquel sont abonnés ses parents. Puis, en fac de lettres modernes, il y a le Voyeur de Robe-Grillet, les autres ouvrages suivront. Honoré a lu les « nouveaux romans » avant les classiques et se plait à dire : « J’ai commencé par les ruines avant de retourner aux temps de la splendeur ». Tout ce cheminement pour expliquer la construction du spectacle qui se révèle être d’une extrême simplicité en apparence mais livre des trésors d’inventivité du point de vue de l’énonciation, le plaçant dans une construction dramatique d’exception. Afin de mettre en regard, Le Nouveau Roman et les auteurs d’aujourd’hui, Christophe Honoré a interrogé des contemporains. Darrieussecq, Salvayre, Leroy et d’autres encore, mais évitant les auteurs de chez Minuit, affirment qu’ils doivent quelque chose au Nouveau Roman et que les questions posées à l’époque ont leur importance.

Quatre écrans télé permettent de retransmettre ces témoignages sur scène pendant que les comédiens se déplacent dans un désordre apparent. Fumées de cigarettes recrachées en volutes, ballons de blanc ou autres alcools, une série de micros sur pied, bureau surélevé, mur en bois rappelant l’intérieur d’une bibliothèque et placé en fond de scène, l’espace scénique est exploité à son maximum sans y perdre les comédiens dans un lointain relevant du mirage. A l’avant de la scène, un escalier en arc de demi-cercle accentue le côté kitch de la scénographie et l’on se croirait presque dans une pièce de boulevard ce qui renforce ce côté potache et bon enfant de la proposition durant trois heures. Les hommes sont interprétés par des femmes et les femmes par des hommes, Brigitte Catillon incarne Michel Butor, Annie Mercier, Jérôme Lindon et côté femmes Benjamin Wangermée interprète une Sagan à tomber, drôle et piquante ! L’ensemble des comédiens fait preuve d’un talent remarquable pour embrasser cette œuvre fleuve de Christophe Honoré qui ne cesse de les mettre en difficulté et par le texte et par l’espace scénique qu’ils doivent investir avec intelligence. Pas de failles ou d’hésitations, la mise en scène est réglée au millimètre et l’on quitte la Colline après trois heures passées en compagnie des douze auteurs du Nouveau roman avec le sentiment d’avoir réalisé un voyage riche d’émotions, d’intelligence et de bonheur.

Nouveau Roman
Texte et mise en scène : Christophe Honoré
Scénographie : Alban Ho Van
Lumière : Rémy Chevrin
Vidéo : Rémy Chevrin, Christophe Honoré, Baptiste Klein
Costumes : Coralie Gauthier pour Yohji Yamamoto, Y’s, Limi Feu
Assistant à la mise en scène : Sébastien Lévy
Avec : Brigitte Catillon, Jean-Charles Clichet, Anaïs Demoustier, Julien Honoré, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Ludivine Sagnier, Mathurin Voltz, Benjamin Wangermée
Du 15 novembre au 9 décembre 2012 – Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
Location : 01 44 62 52 52
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
www.colline.fr

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