Critiques // Critique . « La Petite ». Texte et mise en scène d’Anna Nozière / La Colline – théâtre national

Critique . « La Petite ». Texte et mise en scène d’Anna Nozière / La Colline – théâtre national

Sep 30, 2012 | Aucun commentaire sur Critique . « La Petite ». Texte et mise en scène d’Anna Nozière / La Colline – théâtre national

Critique de Suzanne Teïbi

Chercher sa place. Chercher la mère

Rentrons dans l’univers de La Petite. N’essayons pas de tout comprendre, on ne le peut pas.

Alors rentrons, oui, dans l’univers de La Petite, en essayant de démêler ce que l’on ne comprend pas.

Univers-rituel, dans lequel vit La Petite, à moins que ce ne soit la comédienne qui joue La Petite, qui cherche les traces de sa mère, et par là-même qui se cherche.

C’est que la mère de La Petite est morte en lui donnant naissance, sur le plateau d’un théâtre.

C’est que La Petite est enceinte, et qu’elle nous raconte, sur le plateau, l’histoire de sa mère, et son histoire.

C’est que l’enfant de La Petite, dans son ventre, est en parfaite santé mais ne se développe plus, le temps est suspendu, et La Petite s’est mis en tête de  rejouer l’histoire de sa mère, pour comprendre son histoire, pour dénouer l’histoire de son enfant, pour que celui-ci puisse enfin sortir, et exister.

Le texte est énigmatique, un univers se déploie, sombre et sobre: diction très technique, tenue des corps très droits, musique de fond permanente et lancinante, le risque étant de séduire ou rebuter.

Mais on n’est pas encore arrivé au bout du brouillard, car la mise en abîme jamais ne s’arrête, superpose les couches de théâtre dans le théâtre, pour finalement nous faire perdre tout repère de temps et d’espace.

Chercher la mère, oui, mais quelle mère, on ne le sait plus vraiment.

Car d’emblée tout me signifie que le cadre est bien métathéâtral.

Les personnages sont des comédiens, la preuve: nous, spectateurs, assistons frontalement aux saluts des comédiens, à différentes reprises, pourtant ce sont des saluts qui ne nous sont pas adressés.

Nous, public, jouons à être un autre public, peut-être celui d’une autre temporalité.

Quand les comédiens font une rencontre avec le public, c’est bien nous qui sommes à la place d’un public qui pose des questions que pourtant l’on n’entend pas.

Derrière nous, à la place de chaque spectateur, se trouve un spectateur d’une autre époque, qui, à notre place, parle avec les comédiens, écoute les comédiens, applaudit les comédiens. Mais qui n’est pas nous pourtant.

Chercher l’enfant

C’est bien du temps et de l’espace dont il s’agit ici: en cherchant le temps de la mère, La Petite crée un espace-temps pour l’enfant. Elle lui fait sa place dans le monde.

Mais une ambiguïté met mal à l’aise: trouver la place des comédiens, des personnages, des comédiens qui jouent les comédiens qui jouent les personnages, d’accord.

Mais quelle est ma place, à moi, spectateur? Me donner un spectateur-binôme d’un autre temps, je peux m’en accommoder, mais comment s’adresse-t-on à moi, spectateur de l’ici et maintenant, ça je ne le sais pas.

Les personnages, dans un rituel sans fin, jouent, rejouent, et rejouent encore des scènes, interchangent la parole, et mettent en scène une constellation familiale – ce rituel qui consiste à rejouer, dans un jeu de rôle encadré par un maître de cérémonie, des scènes familiales d’un autre temps, où chacun prend la place symbolique d’un membre de la famille. L’idée est que l’inconscient, sensible, en posant des corps et des mots, dénoue les nœuds familiaux et permet d’interrompre les blocages intergénérationnels.

Sur le plateau, les vivants et les morts se répondent, mais que nous disent-ils? Ici, le regard porté sur les constellations familiales est trouble.

Tantôt premier degré, le rituel peut s’interrompre à tout moment pour devenir alors l’objet d’une certaine moquerie.

Si l’on se moque, alors pourquoi, finalement, valide-t-on la thèse qui consiste à intégrer et faire coexister les temporalités pour dénouer et pouvoir continuer à vivre?

Après avoir cherché la mère, la fille, l’enfant, le spectateur n’a pas d’autre choix que de chercher sa place, quitte à ce que ce ne soit pas celle que lui a donné La Petite.

La Petite
Texte et mise en scène d’Anna Nozière
Collaboration artistique: Denis Loubaton
Son: Loïc Lachaize
Lumière et scénographie: Anne Vaglio
Costumes et scénographie: Cécile Léna
Musique: Sébastien Libolt
Costumière: Patricia de Petiville
Accessoires et scénographie: Zoé Bouchicot
Plans et suivi de construction: Charlotte Maurel
Mannequins: Pascale Blaison
Avec: Virginie Colemyn, Sarajeanne Drillaud, Fabrice Gaillard, Martial Jacques, Claire-Monique Scherer, Delphine Simon, et la voix de Catherine Hiegel
Du 27 septembre au 27 octobre 2012
Du mercredi au samedi à 21h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
La Colline – théâtre national / Petit Théâtre
La Colline – théâtre national – 15, rue Malte-Brun – 75020 Paris

Métro Gambetta
Réservation 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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