Critique de Dashiell Donello

Duras se fait du cinéma

En 1947 Marguerite Duras (1914-1996) commence le roman « Un barrage contre le Pacifique » qui sera publié en 1950. Elle venait de divorcer de son premier mari et de se remarier avec Dionys Mascolo, dont elle aura un fils. C’est durant l’enfance de son petit Jean, qu’elle écrira cette fiction autobiographique.

L’action se situe en Indochine française dans les années 30, elle met en scène une mère et ses deux enfants vivant dans une plantation peu rentable. «  Un barrage contre le Pacifique » raconte la difficulté de la vie de ce que l’on a appelé « les petits blancs » par rapport aux « grands », riches planteurs, membres de la bourgeoisie coloniale.

« L’Eden Cinéma » est une adaptation par Marguerite Duras de son propre roman. C’est sous un sable infertile, au bord du Pacifique, qu’elle a exhumés ses souvenirs :

« …j’ai l’impression, depuis que j’ai commencé à écrire ces souvenirs, que je les déterre d’un ensablement millénaire … Aucune autre raison ne me fait les écrire, sinon cet instinct de déterrement. C’est très simple. Si je ne les écris pas, je les oublierai peu à peu. Cette pensée m’est terrible. Si je ne suis pas fidèle à moi-même, à qui le serais-je ? » Marguerite Duras in Cahiers de la guerre et autres textes (P.O.L)

Oui, la peur d’oublier son histoire, d’être infidèle à soi-même, a mis au monde la savante écriture de la grande romancière. Dans cette version théâtrale, c’est la figure de la Mère qui est mise en avant. La mère de Marguerite Duras est la cause de ses écrits. Il fallait en faire un personnage de littérature pour la rendre immortelle. « Je ne pouvais la résoudre qu’ainsi » disait-elle.

Roman ou théâtre ?

On peut se poser la question de l’adaptation justement. Pourquoi sortir du roman, la caractéristique du roman, pour faire du théâtre ? Pour le coup, il vaudrait mieux s’allonger sur son divan et lire tranquillement, avec un bon verre de vin, ce livre magnifique. Au moins on pourrait lire et entendre la narration des personnages avec agilité et liberté. Or, ce que l’on voit sur le plateau est d’une pesanteur qui nous ennuie et nous fait décrocher. Comment Marguerite Duras a pu croire que la narration surabondante des deux enfants allait mettre en scène son histoire ? N’est-ce pas plutôt une gangue qui emprisonne toutes actions ? Et là se pose le choix de mise en scène. Jeanne Champagne nous dit avoir retrouvé avec un immense bonheur l’œuvre de Duras. Certainement. Mais n’y a-t-il pas confusion avec ce qui se romance et ce qui se théâtralise ? On sait que tout meure au théâtre. N’aurait-il pas fallu une nouvelle adaptation ? Les comédiens, dont la merveilleuse Tania Torrens, semblent errer sur ce plateau de sable où l’enseigne de « L’Eden Cinéma » est loin du rêve qu’elle est supposée nous donner. Et si les enfants sont les narrateurs d’une partition artificielle, ce sont aussi des comédiens empêchés dans leur interprétation par la présence trop grande du roman. Le manque de structure de la pièce, pour que l’action théâtrale joue sa résonnance minimale, est peut-être la cause de cette entrave. Alors roman ou théâtre ?

L’Eden cinéma

Texte : Marguerite duras

Mise en scène : Jeanne champagne

Avec : Sébastien Accart, Fabrice Bernard, Agathe Molière, Tania Torrens, Sylvain Thirolle

Scénographie : Gérard Didier

Lumières : Frank Thevenon

Son : Bernard Vallery assisté de Samuel Mazotti

Conseils chorégraphiques : Cécile Bon

Assistants : Mylène Berthaume et Sylvain Thirolle

Construction du décor : atelier Jipanco

L’Éden Cinéma est édité aux Éditions Mercure de France et Folio Gallimard durée 2h

Du mardi 20 au samedi 24 Mars 2012

Mardi, Vendredi et Samedi à 20h30, Mercredi et jeudi à 19h30

Théâtre 71

3, Place du 11 Novembre – 92240 Malakoff

Réservation : 01 55 48 91 00

Métro : Malakoff-Plateau de Vanves

www.theatre71.com

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