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Critique. « Atteintes à sa vie » de Martin Crimp / au Théâtre de l’Opprimé

Oct 12, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Atteintes à sa vie » de Martin Crimp / au Théâtre de l’Opprimé

Critique Suzanne Teïbi

De “Qui est Anne” à “Qui sommes-nous” ?

Atteintes à sa vie se construit comme 17 scénarios et autant de tentatives de mettre un doigt sur ce personnage énigmatique et schizophrénique qu’est Anne / Annie / Anna / Anouchka.
A travers cette pièce en 17 tableaux, les personnages élaborent peu à peu les contours d’une absente qui n’a jamais la parole et que l’on n’est jamais censés voir.
Car Anne est bien un fantasme, une projection, une construction mentale de celui qui la raconte. Sans identité propre, elle est tour à tour une femme, une petite fille, une marque de voiture, une actrice de film porno ou une terroriste.
Le curseur est alors vite déplacé depuis Anne, un “non-personnage”, vers les personnages sur le plateau.
En parlant d’Anne, ils parlent d’eux, et inscrivent leur imagination dans notre société et ses caractéristiques – omniprésence des médias, guerre et fantasmes, réalité réinventée par la fiction et ses clichés.

Atteintes à sa vie est un texte difficile, Adrienne Winling et le Groupe LA gALERIE ont l’intelligence de plonger dans l’ironie du texte tout en la détournant pour lui apporter une grande sincérité.
Les cinq comédiens sont accompagnés sur le plateau par trois techniciens, qui vont appuyer sans cesse l’essence du texte en donnant à la technologie une place centrale dans la représentation.
L’équipe joue sur une mise en abyme de plus en plus vertigineuse, et multiplie progressivement les histoires dans les histoires, les images dans les images.

Les comédiens créent leur Anne, racontent leur Anne au public, tandis que les techniciens adaptent leur création technique à ce qui est en train de s’inventer – créent l’éclairage, la musique, projettent en direct des captations vidéos des scènes qui se jouent – ils participent pleinement à l’invention collective d’Anne.
Ils prennent ainsi une place à part entière dans le processus de création, et révèlent les paradoxes que le texte met en lumière. Le monde est façonné par les nouvelles technologies – est-ce un bien, est-ce un mal? Peu importe, le fait est que le monde change et que nous aussi.
De fait, les personnages, dans une mise en abyme, parlent de nous.

Réintroduire des singularités

Là où Crimp n’attribue ni indications scéniques, ni personnages (simplement des marqueurs de parole) le Groupe LA gALERIE distribue la parole, impose des personnages et intégre intelligemment des enjeux pour chacun.
Ils parviennent ainsi à insuffler une grande sincérité et de vrais enjeux là où le risque était de faire des comédiens des figures traversées par une parole.
En réintroduisant des singularités, les comédiens amènent une parole légitime, ajoutent la question du point de vue, et redonnent de l’intérêt àn la forme qui peut poser ses limites – on est en droit de questionner le côté arbitraire du nombre de tableaux.

Le retour à la troupe, qu’elle se nomme « groupe » ou « collectif », replace l’aventure humaine et collective au centre du théâtre.
En plus d’être réjouissante, cette proposition et ce mode de fonctionnement  épousent formidablement la pièce Atteintes à sa vie et mettent en perspective la question du groupe et de la création collective comme échappatoire à un monde qui nous dépasse.

Atteintes à sa vie
Texte: Martin Crimp
Traduction: Christophe Pellet
Création collective: Groupe LA gALERIE
Mise en scène: Adrienne Winling
Avec: André Antébi, Céline Champinot, Pierre Daubigny, Thomas Favre, Antoine Girard, Maëva Husband, Nicolas Lebecque, Elise Marie
Musique: Antoine Girard
Vidéo: Nicolas Lebecque
Création lumière: Pierre Daubigny
Du 10 au 14 octobre 2012
Mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 17h
Théâtre de l’Opprimé
78/80, rue du Charolais – 75012 Paris
Métro Dugommier, Reuilly Diderot, Montgallet ou Gare de Lyon

http://www.theatredelopprime.com/

A venir
du 24 au 27 octobre au Théâtre de l’Iris à Villeurbanne

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