ƒƒ Critique Denis Sanglard
© Christophe Raynaud de Lage / WikiSpectacle
Trois actrices pour un portrait de femme, la traversée d’une vie
Trois âges, trois visages, pour une existence faite de rêves et de désillusions, de mensonges et d’omissions, de trahisons. Portrait croisé, chassé croisé, c’est un dialogue de sourdes. Chacune récuse l’autre, chacune semble détenir une vérité qui n’est qu’un leurre apparent de plus. Chacune en fait détient la vérité d’un moment, d’un présent fugace et flottant, fuyant, soumis aux aléas d’une existence sous influence. Ces trois femmes qui n’en sont qu’une, ces trois voix entremêlées qui se heurtent, s’engueulent et se réconcilient dessinent un portrait éclaté, sensible et délicat, de femme, épousant les méandres d’une vie faites de contradictions, de petits arrangements avec la réalités quand celle-ci devient si lourde à porter, à supporter aux regards des illusions perdues et que le désir d’en finir – rien qu’un saut – rôde en tapinois…
Jonas Hassen Khemiri, auteur suédois, signe un très joli texte. Joli, pas exactement. Mais plus précisément délicat et profondément juste, touchant, avec quelque chose d’âpre et rugueux dans le propos. Rien de mièvre en tous les cas dans ce portrait en demi-teinte. L’originalité tient surtout en cet éclatement narratif qui voit se bousculer la chronologie d’une vie et dialoguer, se confronter trois personnages qui n’en figure qu’un. Un personnage fragmenté, un puzzle dont les pièces seraient renversées, éparses et qui réunies font soudain sens. Il interroge la réalité, affronte la vérité toute relative d’une vie. C’est une pièce dramatique et même tragique, un tragique contemporain qui voit un destin contrarié, qui tente de se réinventer à l’aune de ses rêves, qui échoue et se ment à lui même face aux contingences de la vie réelle qu’il faut bien se coltiner.
La mise en scène d’Edouard Signolet est dynamique qui ne s’encombre de rien d’inutile. Trois chaises et trois petits plateaux dessinent l’espace et laisse toute la place à trois formidables actrices qui s’emparent du texte et de leur rôle – et on peut le dire, de ce rôle tant ensemble elles font corps – avec un allant, une fougue épatante. Elles déploient un éventail, une palette d’émotions qui vous scotche… Céline Groussard particulièrement qui dans la femme 1, soit l’adolescente et la jeune fille que fût cette femme, est débordante d’énergie, de verve et de drôlerie. Chacune pourtant est le reflet augmenté de l’autre. Elles sont, comme sur l’affiche, poupées gigognes qui s’emboitent indéfiniment. Jamais de temps mort dans cette création mais des instants suspendus entre deux éclats. La mise en scène épouse ainsi les mouvements de cette vie, délicat balancier entre émotion et rire, pouvant s’emballer, partir en vrille. Il y a quelque chose de vertigineux dans cet emballement qui n’est que l’expression du vertige de cette vie qui ne renonce pas malgré l’attrait du vide.
Nous qui sommes cent
De Jonas Hassen Khemiri
Traduction Marianne Ségol
Mise en scène de Edouard Signolet
Avec Emmanuelle Brunschwig, Céline Groussard, Elsa Tauveron
À l’accordéon Pierre Cussac
Lumières Virginie Galas
Scénographie Sarah Lefèvre
Costumes Sophie Lecompte, Sarah Lefèvre
Conception chaises Valentin Montfort
Réalisation chaises Valentin Montfort, André FraisseJusqu’ au 14 février 2014
Mardi à 19h – Du mercredi au samedi à 20h – Samedi matinée à 16hLa pièce est publiée aux Èditions Théâtrales
Théâtre Ouvert
Centre National des Dramaturgies Contemporaines
4bis Cité Véron 75018 Paris
Métro : BlancheRéservations: 01 42 55 55 50
Rp@theatreouvert.com