ƒƒ Critique Denis Sanglard
©EL-TIGRE_GiovanniCittadiniCesi_078
Un vaudeville complètement givré !
Quelque part au nord de Buenos Aires, dans la région d’El Tigre, un ensemble d’îlots où rodent les caïmans, deux travestis, Madame Holy et son employée Dark, se rêvent en Lana Turner enveloppée de son angora. Avec la volonté de reconstituer, ce soir là, le mélodrame de Douglas Sirk « Le Mirage de la Vie ». Oui, mais la tempête se déchaîne et les invités attendus ne sont pas ceux qu’on espérait. Entre une indienne sortie de sa réserve, une fée cinéphile, Lana Turner herself sortie d‘entre les morts, sa fille hystérique, et une extra-terrestre « Ed Woodienne » rien vraiment ne se passe comme prévu. Difficile de résumer cette invraisemblable loufoquerie, ce bordel savamment orchestré. Qui du flamboyant mélodrame espéré passe très vite au plus mauvais Ed Wood. De l’influence de l’angora sur le cinéma américain sans doute…
Alfredo Arias avec jubilation nous offre une Christmas Pantomime à la sauce argentine. Un hommage au cinéma américain, aux stars glamour et fatales et aux travestis qui les subliment. Le torch-song le plus déjanté appliqué au cinéma… Un humour camp, corrosif où l’autodérision est assumée, jouée et chantée avec gourmandise et panache. Mélange de dialogues et de chansons, teintés de cruauté, tout à la fois surréaliste et complètement barré. Une distance propre à la culture queer.
Et pourtant ils ne sont que deux travestis. Entre la classe de Carlos Casella -Madame Holy- et la gouaille de notre Madame Raymonde nationale, mais pas seulement, Denis D’Arcangelo – La gouvernante Dark – c’est un duo improbable, l’alliance de la carpe et de la lapine, explosif et jubilatoire, entre haine recuite et jalousie complice. Tony Curtis et Jack Lemmon en perdition dans le marais argentin. Faisant appel à Arielle Dombasle – Lana Turner – qui assume crânement son rang d’icône gay, Alfredo Arias s’amuse à déconstruire son image qu’elle-même déboulonne visiblement avec bonheur. Lana Turner n’existe pour ainsi dire que dans le regard des autres qui la reconstruisent à l’aune d’Hollywood, de sa filmographie et de sa vie scandaleuse. Conforme à l’image attendue de la star, glamour, fatale et franchement kitch, travelo sublime sans l‘être, Arielle Dombasle en fait des tonnes avec l’air de ne pas y toucher, à petites touches, sans rien appuyer, jusqu’à l’absurde et c’est tout simplement du grand art. Et, bonne camarade, sans jamais tirer la couverture à elle. Car la distribution est sans doute la clef de cette réussite, la mise ne scène étant réduite adroitement au plus simple. Ils sont tous aussi zinzins les uns que les autres… Alejandra Radano – La fée Fatafatale et Vampira- est incroyable d’abattage et de talent. Une sacrée présence qui déménage sec comme Andrea Ramirez – Tota – et Alexie Ribes – Lanita -. Tous sont au diapason, immergés dans la même folie, la même hystérie jubilatoire qui gagne peu à peu le plateau ou l’invraisemblable le plus naturellement devient la norme. Alfredo Arias nous offre ainsi une création réjouissante, un tigre – une tigresse – de papier aux griffes soigneusement manucurées et acérées. Allez, je file m’acheter un pull angora !
El Tigre
Livret et mise en scène Alfredo Arias
Composition musicale Bruno Coulais
Collaboration artistique René de CeccatyAvec Denis d’Arcangelo, Carlos Casella, Arielle Dombasle, Alejandra Radano, Andrea Ramirez, Alexie Ribes
Violons Christophe Guiot, Elisabeth Pallas
Alto Françoise Gneri
Violoncelle Jean-Philippe AudinScénographie Elsa Ejchenrand, José Cuneo
Costumes Pablo Ramirez
Lumières Jacques Rouveyrollis
Jusqu’au 12 Janvier 2014, 21h
Samedi 17h30 et 21h – Dimanche 15h – Mardi 31 décembre 18h30
Relâche les lundis et les 22 décembre, 25 décembre et 1er janvierThéâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2bis Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris
Métro : Franlklin RooseveltRéservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr