ƒƒƒ Critique Denis Sanglard
©Marie Clauzade
« A La fin de l’envoi, je touche. »
C’est une version épurée, débarrassée de ses scories, de ses boursouflures, que présente Georges Lavaudant. Une mise en scène légère, vive et grave tout à la fois. Georges Lavaudant épouse le pas de Cyrano, toujours en mouvement et dont le cœur ne s’arrête qu’à l’évocation de Roxane. Sans rien ôter de ce qui fait la popularité de cette pièce, le côté « cape-et-épée-trois mousquetaires », cela n’est ici qu’un arrière plan. Expédiées – avec brio- les scènes de bravoures attendues, tout se concentre autour du drame qui se noue entre Cyrano, Roxane et où alors le temps semble comme suspendu, le pas de Cyrano plus hésitant. C’est une tragédie intime qui se joue, une formidable histoire d’amour ratée. Plus encore, l’histoire d’un homme. Georges Lavaudant creuse de ce côté là et privilégiant ce versant rend toute sa complexité aux personnages…
« Oui, ma vie ce fut d’être celui qui souffle et qu’on oublie ! »
Roxane est loin d’être la précieuse attendue mais une jeune fille résolue, volontaire et têtue, naïve et qui s’ouvre à l’amour, s’illusionne avant d’être décillée. Marie Kaufmann est ainsi étonnante dans sa composition, « délabyrinthant » avec délicatesse les sentiments de son personnage. Cyrano n’est plus seulement ce héros bravache, matamore désillusionné, lucide et libre sinon libertaire, c’est un être blessé de se trouver laid, amoureux certes mais qui s’empare et se pare de la langue comme d’un autre masque pour couvrir ce nez qui « en tout lieu le précède ». Patrick Pineau est un Cyrano profondément mélancolique. Osons le dire, lunaire et tout à la fois terre à terre. C’est un être déchiré, contradictoire, qui porte son nez en sautoir comme un accessoire indispensable pour dissimuler une blessure, une fêlure plus profonde. Un être inquiet que trahit ce mouvement perpétuel, cette fébrilité permanente que lui donne Patrick Pineau. Il semble fuir toujours sans pour autant vouloir se dérober. C’est un ours funambule sur une corde prête à rompre. Il y a chez Patrick Pineau quelque chose de singulier, une intranquillité permanente, lequel s’empare des scènes de bravoure, d’action comme si cela n’était qu’un jeu, la vérité de son personnage étant ailleurs. Tout cela n’est que panache, épate pour la galerie. Cyrano joue à Cyrano puisque c’est-ce qu’on attend de lui. Mais le cœur n’y est pas vraiment, le cœur n’y est plus, son cœur est ailleurs. Cyrano est un acteur, celui de sa propre vie mais égaré dans un rôle qui n’est pas le bon, dans une pièce qui n’est pas la bonne. Alors il cabotine, perdant magnifique. On rit beaucoup de tant de fanfaronnade mais l’émotion affleure devant tant de mensonge. On pleure franchement quand sous le balcon de Roxane, le visage à nu, la parole libre enfin, le masque ôté, il reste pour jamais dans l’ombre. Et qu’un autre recueille le fruit de son amour. Patrick Pineau donne ainsi à son rôle une part d’humanité terrifiante et tragique. Dont l’élégance et la délicatesse ultime est de mourir sans bruit, lui le bravache « qui fut tout et qui ne fut rien ».
« Mon panache. »
Et c’est autour de ce « tout et rien » que tourne la mise en scène de Georges Lavaudant. Il fait de Cyrano un personnage héroïque qui se refuse à cet héroïsme. Perdu entre son personnage public et sa vérité profonde, Cyrano ne peut être dans cette contradiction, ce mensonge, un héros. Cyrano c’est l’histoire d’un malentendu. Georges Lavaudant joue sur ces emboitements successifs, du théâtre dans le théâtre, du vrai, du faux, de l’illusion, que souligne la scénographie, ce jardin clos comme unique décor à transformations. Cyrano met en scène sa vie, Cyrano joue son rôle, souffle à Christian le sien et souffre. Et meurt. Ultime mise en scène. La vie est un théâtre, il n’y a de vérité et de mensonge toujours – avers et envers d’une même face, d‘une même farce- que sur la scène. Cyrano est le personnage théâtral par excellence qui n’a de vérité que sur une scène. C’est cette contradiction cruelle et magnifique à la fois que Patrick Pineau dévoile peu à peu et porte au plus haut: Cyrano est sa propre invention, l’invention de soi jusqu’au vertige. « être tout et n’être rien. »
Cyrano de Bergerac
D’ Edmond RostandMise en scène de Georges Lavaudant
Avec Patrick Pineau, Marie Kauffmann, Frédéric Borie, Gilles Arbona, François Caron, Olivier Cruveiller, Astrid Bas, Emmanuelle Reymond, Pierre Yvon, Stéphane Czopeck, Laurent Manzoni, Alexandre Zeff, David Bursztein, Loïc-Emmanuel Deneuvy, Julien Testard, Maxime Dambrin, Bernard Vergne, Marina Boudra
Dramaturgie Daniel Loayza
Décors et costumes Jean-Pierre Vergier
Assistante costumes Géraldine Ingremeau
Son Jean-Louis Imbert
Lumières Georges Lavaudant
Vidéo Mathias Szlamowicz
Maître d’armes François Rostain
Maquillage et effets spéciaux Sylvie Cailler
Perruques Jocelyne Milazzo
Assistante à la mise en scène Fani CarencoJusqu’au 22 octobre 2013
Lundi, vendredi, samedi à 20h30 – Mardi à 19h30, dimanche à 15h30 – Relâche mercredi et jeudi
MC93
9 boulevard lénine
93000 Bobigny
Métro : Bobigny Pablo Picasso
Réservation 01 41 60 72 72
www.MC93.comLe spectacle en tournée passera notamment aux Gémeaux, coproducteur du projet, du 4 au 15 décembre 2013