ƒ Critique Denis Sanglard
© Victor Tonelli / ArtComArt
Kennedy, ton univers pitoyable
American Tabloïd ou comment James Ellroy dessoude le mythe Kennedy. L’irrésistible ascension de Jack Kennedy vers la présidence n’était que coup fourrés, coups tordus et collusions avec la maffia. Entre fiction et faits historiques avérés James Ellroy dézingue une certaine idée de l’Amérique aux prises avec ses contradictions, ses mensonges, ses fantasmes. Il dévoile l’arrière-cuisine puante de la politique qui voit le chantage, le meurtre servir l’intérêt d’un clan, des barbouzes exécuter les basses œuvres du pouvoir. Jusqu’au meurtre de Dallas, inéluctable, qui vit l’Amérique se réveiller avec une sacré gueule de bois.
Nicolas Bigards s’attaque avec vaillance à American Tabloïd, vaste fresque profuse, touffue. Recentrant l’action sur trois personnages emblématiques et fictionnels, Kemper Boyd, J.Ward Littell et Pete Bondurant. Chacun représentant le rapport ambigu et versatile à l’égard d’un futur président qu’ils servent par ambition personnelle, opportunisme, et intérêt financier. Autour de ces trois gravitent des personnages historiques, l’indéboulonnable Hoover, Jimmy Hoffa, Howard Hughes.
Tâche ardue que d’adapter un tel roman. Malheureusement et malgré un collectif engagé dans ce projet avec un bel élan, une conviction forte, un talent certain, on s’ennuie. Un peu. Sans doute eût-il fallu resserrer davantage. Le découpage -inévitable ?- entre dialogue et narration qui voit les acteurs passer de l’un à l’autre, appesantit quelque peu l’ensemble. Judith Henry, fine comédienne, se voit ainsi réduite à un rôle de narratrice, personnage purement artificiel dont on ne voit pas l’utilité. Dommage de la réduire à cela. Surtout de James Ellroy il ne reste pas grand-chose de son style si particulier, de cette folie latente, cette impression d’être au bord du gouffre. Il ne reste ici que les faits, l’intrigue, au dépend de l’écriture singulière de l’auteur. C’est toujours cette délicate problématique de l’adaptation du roman au théâtre qui voit très vite parfois toucher les limites du genre… Malgré ces réserves, la mise en scène de Nicolas Bigards, conscient sans doute de la difficulté à adapter ce roman monstre, reste au plus près des personnages. Le metteur en scène scrute attentivement les méandres bourbeux de chacun, leurs ambiguïtés, et particulièrement des trois principaux dont il souligne les contradictions et les gouffres. A travers ceux là qui ont les mains sales sans doute avons-nous un portrait en creux et peu glorieux de l’Amérique selon James Ellroy.
American Tabloïd
Texte : James EllroyMise en scène : Nicolas Bigards
Traduction : Freddy Michalsky
Scénographie : Chantal de La Coste
Adaptation : Stéphanie Cléau, Nicolas Bigards
Collaboration artistique : Christelle Carlier
Conseiller littéraire : Jake Lamar
Musique : Théo Hakola
Création son : Etienne Dusard
Création Lumières : Pierre SetbonAvec : Yann Berlier, Thomas Blanchard, Clément Bresson, Yannick Choirat, Béatrice Demi Mondaine, Dimi Dero, Noémie Dujardin, Théo Hakola, Jan Hammenecker, Judith Henry, Mathieu Saccusi, Gabriel Tamalet, Pascal Ternisien
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