ƒƒƒ critique Denis Sanglard
Sombre lac
Dada Masilo, jeune chorégraphe sud africaine, revisite Le Lac des cygnes. Pieds et torse nus, corps d’ébène cerclés de tutus blancs, gestuelle classique, académique et transe africaine, Tchaïkovski traversé de percussions zoulous et de youyou, c’est une danse de vie et de mort… Une danse métissée qui claque. Mélange des genres audacieux et heureux qui voit un pied esquisser une pointe avant que de s’abattre au sol scander le rythme du gumboot..!
L’argument original demeure, jusque dans sa naïveté, mais s’inscrit dans une lecture politique contemporaine radicale où il est question de sexe, de mariage arrangé, d’homosexualité et de sida. Une liberté de ton et un regard lucide sur une société sud-africaine encore campée sur des tabous dont Dada Masilo se joue et transcende par la danse. Avec un culot formidable qui la voit s’emparer d’un classique absolu, le dépoussiérer de sa morgue guindée, pour en faire tout à la fois un hommage amusé mais révérencieux et une performance profondément engagée.
Ce lac est un sacré manifeste auquel on ne peux résister: c’est exubérant, drôle et débordant d’énergie. Les ensembles ont quelque chose d’une cérémonie festive, une fête villageoise, un rassemblement cérémoniel. Mais la naïveté du conte, l’énergie, l’euphorie s’estompent bientôt pour une gravité, une émotion qui vous saisit à la gorge et ne vous lâche plus. « Je ne peux pas faire ça » hurle Siegfried contraint par sa famille d’épouser Odette dépitée devant ce prince si peu conquérant… Lequel cède aux attraits d’Odile, cygne noir et… mâle magnifique. Odette, Odile. Au solo solaire, sexy en diable de la première répond celui du second, sombre, lancinant et empreint déjà d’une sourde douleur. Quelque chose est là qui s’annonce d’une condamnation et projette ce ballet bien au-delà de la fable première. La Mort du Cygne de Camille Saint-Saëns est alors plus qu’un clin d’œil, c’est l’autre versant de ce ballet qui bascule bientôt en un pas de deux mortel. Odette et Odile, rejointes bientôt par le corps de ballet, agoniseront ensemble dans un final ténébreux et bouleversant qui vous cueille brutalement. On reste saisi, glacé, devant ces cygnes fauchés…
© John Hogg
Swan Lake
Chorégraphie et interprétation Dada Masilo
D’après Le Lac des cygnes de Piotr Illitch Tchaïkovski
Avec Kinsgley Beukes, Nicola Haskins, Shereen Mathebula, Songezo
Mcilizeli, Ipeleng Merafe, Llewellyn Mnguni, Khaya Ndlovu, Lesego Ngwato, Thabani Ntuli, Nonofo Olekeng, Thami Tshabalala, Carlynn Williams, Xola Willie, Tshepo Zasekhaya
Musique Piotr Illitch Tchaïkovski, René Avenant, Arvo Pärt, Steve Reich, Camille saint-Saëns
Lumières Suzette Le Sueur
Costumes Dada Masilo, Suzette Lesueur
Réalisation costumes Ann Bailes, Kirsten Bailes
Réalisation chapeau Karabo Legoabe
Maître de ballet Mark HawkinsJusqu’au 6 Octobre 2013 à 18h30 – Dimanche à15h- relâche les lundis
Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris
Métro : Franklin Roosevelt
Réservations 01 44 95 98 21