ƒƒ critique Djalila Dechache
© Cosima Mirco Maggliocca
C’est toujours avec plaisir, une attente tissée d’impatience que l’on se rend à une création de Brigitte Jaques-Wajeman. C’est ainsi.
Des metteurs en scène transforment en or leurs mises en scène illuminées par la pratique subtile de l’alexandrin, savamment modelé, analysé puis mis en pratique avec son co-équipier le brillantissime auteur et philosophe François Regnault.(Dire levers, avec J.C.Milner, Le Seuil).
« Un alexandrin fidèle et attentif à la langue d’aujourd’hui »
« (…) Au lieu d’attitudes conventionnelles imitant les représentations d’un lointain passé que personne n’a jamais vues, et sans recourir non plus à la démolition, qui n’est que l’envers de l’intimidation, mais en exécutant cependant un alexandrin à la fois fidèle à ses lois et attentif à la langue d’aujourd’hui, le corps se donne toutes les libertés d’y ajouter ses pulsions, ses violence et son érotisme ». François Regnault.
C’est le cas de Pompée, qui renaît sous la houlette du metteur en scène emportant les 11 comédiens, la plupart issus du Jeune Théâtre National, dans le tourbillon du pouvoir, des intrigues et des inimitiés, du sexe et du sang. Brigitte Jaques-Wajeman a ses fidélités, non seulement à François Regnault avec lequel elle a fondé la compagnie Pandora en 1974. Mais aussi à Pierre Corneille qu’elle revisite sans cesse et travaille en nous faisant découvrir des textes remarquables et peu montés. Fidélité aussi à Marc-Olivier Dupin compositeur et chef d’orchestre qui donne une musique des plus belles, élégante et persistante avec tambours, cuivres, cordes et vents, tantôt légère comme la soie de la nappe blanche au style damascène sur la table, tantôt plus emportée, plus présente aux accents dramatiques lorsque l’action s’accélère dans le tragique. Il devrait y avoir des enregistrements musicaux de théâtre comme pour les musiques de films.
Que savons-nous de Pompée, que nous en reste-t-il ?
En 1986 et 1988, produit par le Théâtre National Chaillot, joué au Centre Dramatique National de Lorient notamment, elle avait monté le binôme de deux tragédies « Pompée/Sophonisbe » qu’elle nomme avec trois autres pièces « Le cycle Corneille colonial » présenté actuellement au Théâtre des Abbesses en alternance jusqu’au 1er décembre 2013, par les mêmes comédiens et la même équipe que celle de Nicomède et Suréna.
Corneille, dit Brigitte Jaques-Wajeman,« décrit la politique impériale des Romains et les stratégies hasardeuses de collaboration ou de résistance des populations dominées ; il excelle à décrire (…) la fascination réciproque qu’ils exercent les unes sur les autres, singulièrement par le biais des femmes ».
Une immense table épaisse placée en biais par rapport à l’espace de l’action unit les comédiens, table d’études, de lectures où un ordinateur portable ouvert envoie de la lumière sur leurs visages, ils sont jeunes, ils sont beaux, bondissants, maquillés, ils veulent vivre et posséder. Comme les personnages, ils veulent tout.
« …Nous vivons des temps impurs » Brigitte Jaques -Wajeman
L’action se passe en 5 actes et en vers déroulés en une journée, en Egypte, un frère et une sœur, Ptolémée, roi d’Egypte et Cléopâtre après la mort récente de leur père, se confrontent et doivent faire face à César. Le héros éponyme Pompée est le grand absent, cependant il s’agit beaucoup de lui. Il apparaît, mort, sa tête enveloppée dans un linge, posée sur la table puis réduit à l’état de cendres dans une urne à la fin de la pièce, tenue dans les bras de sa femme Cornélie.
Brigitte Jaques-Wajeman voit dans cette pièce « de quoi éclairer notre propre condition. En effet, de même que Corneille avait « osé » mêler deux registres de la comédie et de la tragédie, ce qu’on lui a reproché longtemps. Son « impureté » fait aujourd’hui sa modernité, car nous vivons des temps impurs ». Sur ce plan elle fait un parallèle entre Corneille et Shakespeare.
Ces temps de guerre permanente où les puissances occidentales mêlent tragédie et comédie, démantèlent patiemment mais sûrement une partie du monde qui les intéressent mais sans leurs habitants, en ayant pris soin de raser ce qui faisait leur grandeur pour les effacer de l’Histoire : que reste-t-il de l’Irak, qu’en est-il de la Syrie, le Maghreb Algérie, Tunisie, au-delà, pour ne citer que ces pays qui souffrent énormément. Le concert des nations du 19 ème siècle notamment, moment de la constitution des empires coloniaux n’a jamais été aussi puissant, assourdissant et gagnant.
Au lecteur, au spectacteur.
Pierre Corneille n’a pas dérogé à l’usage de son époque, consistant à donner au lecteur quelques éléments de sa démarche, de son poème dramatique dont voici un extrait :
« Le livre qui m’a le plus servi a été celui du poète Lucain dont la lecture m’a rendu si amoureux de la force de ses pensées et de la majesté de son raisonnement qu’afin d’en enrichir notre langue, j’ai fait cet effort pour réduire en poème dramatique ce qu’il a fait en épique ». Démarche que suivra B.Brecht au 20 ème siècle est ainsi annoncée.
Pierre Corneille est donc un vrai moderne et c’est un bonheur d’entendre et de voirses poèmes dramatiques.
Pompée
De Pierre Corneille
Création en alternance avec
Sophonisbe
Mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman
Collaboration artistique François Regnault
Assistant à la mise en scène Pascal Bekkar
Scénographie et Lumières Yves Collet
Collaboration Lumière Nicolas Faucheux
Accessoires Franck Lagaroje
Costumes Laurianne Scimemi
Maquillages et coiffures Catherine Saint-Sever
Musique Marc-Olivier Dupin
Avec Yacine Aït-Benhassi, Marc Armand, Anthony Audoux, Pascal Bekkar, Sophie Daull, Marion Lambert, Pierre-Stefan Montagnier, Malvina Morisseau, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Bertrand Suarez-PazosJusqu’au 1er décembre en alternance
20h30 en semaine et 15h le samedi
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses
75010 Paris
Métro Blanche
Réservations 01 42 74 22 77