Critiques // Critique • « Paroles gelées » d’après Rabelais par Jean Bellorini auThéâtre du Rond-Point

Critique • « Paroles gelées » d’après Rabelais par Jean Bellorini auThéâtre du Rond-Point

Mar 10, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « Paroles gelées » d’après Rabelais par Jean Bellorini auThéâtre du Rond-Point

ƒƒ critique Anna Grahm

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© Pierre Dolzani

Le fabuleux voyage de Pantagruel

Cela commence tambour battant. Trois joyeux drilles, en costume de ville et bottes en caoutchouc viennent énumérer les différentes façons de se torcher le cul. Tels des bonimenteurs et dans un joyeux tintamarre, ces effrontés prennent un malin plaisir à mettre en avant leurs derrières. Remontent dans nos boyaux, inventorient ce qu’on peut avaler, les mets et les plats pantagruéliques qui se retrouvent dans nos intestins. Tableaux après tableaux, les personnages Rabelaisiens nous plongent dans un monde en mouvements, plein de fantaisie et de bonne humeur. Énumèrent en flux volubiles la bonne chère, peignent de mots crus et fleuris la curiosité qui les animent, parlent toutes les langues, font du sport, de la musique, passe du rock au lyrique, dansent, chorégraphient les qualités du corps et de l’esprit.

La jeunesse débridée se pavane, risque tout, se défoule.Elle s’éclabousse de jouxtes oratoires et de gerbes d’eau, patauge dans les flaques utopistes,entre dans des phases de régression jubilatoire, pousse toujours plus loin l’anarchie. La troupe devient chœur, fête l’organique, jubile à l’excès, nous livre en flux volubiles, sa liberté de ton. La petite troupe de rebelles marche sur l’eau, navigue dans l’exubérance et la facétie, se laisse porter par la mécanique de la gourmandise, fait jaillir de la surface des trombes de savoirs cacophoniques. Pantagruel, Panurge et ses compagnons nous racontent leur périple invraisemblable, leur quête de la dive bouteille, leur recherche de vérité. Equipés d’une langue sans préjugés, harnachés d’accordéons, ils vont, dans un rythme à couper le souffle, se lancer à corps perdus dans le récit des colosses, composer des fresques fantastiques. Et d’agapes en festins ils avancent, traversent des océans, rendent hommage à Éros et affrontent de terribles tempêtes.  

Ici pas de carcan, ni de principe rigide mais l’expression des aspirations de chacun, la stimulation des appétits, l’encouragement de la soif d’apprendre qui découle de la joie de vivre. Ici on parle dru et on s’enivre de gaité, on fait des folies orgiaques de « Fais ce que tu voudras ». Et les élans, les désirs d’entreprise, sont contagieux. Mais voilà qu‘une robe de mariée tombe des cintres. La femme est coquette, féline, libre et bien dans sa peau. On dirait que ces deux amoureux là sortent tout droit d’un dessin animé. Mais Panurge s’inquiète d’être cocu. Mais Panurge a peur de s’engager. Et s’il rencontre l’amour, le coureur de jupons a bien du mal à assumer ses responsabilités. Panurge est désarçonné par ce nouveau monde qui s’offre à lui. Et il lui faudra lutter contre l’esprit de suivisme pour acquérir un esprit critique.

 Apologie de la liberté

Rabelais ironise sur ses contemporains, comme les humanistes du XVIème siècle, il dénonce les orthodoxies asséchantes du moyen-âge. Veut former des hommes maitres de leur destin, des hommes capables de se forger une éthique basée sur la dignité. Sous la bouffonnerie grivoise, il fait l’éloge d’une éducation libérale, fait exploser les carcans, pousse le ridicule, se récrie des apprentissages des textes religieux par cœur. Comme lui, Jean Bellorini exagère les effets, comme lui, il pousse le burlesque, pour dénoncer « ceux qui n’entendent pas »les changements qui s’opèrent aujourd’hui. Son spectacle foisonne d’idées, de couleurs, de codes, de détournements d’objets. Sans doute à cause des cirés jaunes, de l’aiguillon de folie et des chansons, on pense au film de Demy.

Et s’il est parfois démonstratif, et qu’il nous en met plein les oreilles et les yeux, il est aussi stylisé, poétique et bourré de trouvailles. De simples rampes de lumière utilisées pour suggérer et la mer et le tonnerre et les astres, des ventilos pour Éole, des échelles pour marquer l’élévation de la perfection intérieure et la verticalité. Et la musique des sphèresmagnifiquement rendue par la troupe d’acteurs réglée au millimètre. Et ce traducteur qui nous relie à la nuit des temps, paraphraseur adepte de la plaisanterie,  bilingue en langues des siècles, miroir de notre monde.

Tout ici respire la vitalité, la solidarité, une troupe soudée, une aventure théâtrale chevillée au corps, une ode à l’action. Le langage est combattif, offensif, jouissif. Comme leurs personnages, les acteurs sont physiques, ont l’impertinence insatiable et l’intelligence savoureuse.

La séduction de la mise en scène est certes à double tranchant. Car dans un premier temps, le déluge carnavalesque nous sidère et fait obstacle au sens du propos. Mais la sidération nous permet aussi de comprendre ce qui nous fige, nous oblige à mieux écouter, et nous conduit à remesurer la dévoration de l’image qui empiète de plus en plus sur notre libre arbitre.

Paroles gelées
D’après François Rabelais
Mise en scène de Jean Bellorini
Avec Marc Bollengier, François Deblock, Patrick Delattre, Karyll Elgrichi, Samuel Glaumé, Benjamin Guillard
En alternance avec Teddy Melis, Camille de la Guillonnière, Jacques Hadjaje, Gosha Kowalinska, Blanche Leleu, Clara Mayer, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic
Scénographie: Laurianne Scimemi et Jean Bellorini
Costumes: Laurianne Scimemi assistée de Delphine Capossela
Composition musicale: Jean Bellorini, Marc Bollengier, Patrick Delattre, Gabriel Fauré, Henry Purcell, Hugo Sablic
Lumière: Jean Bellorini
Son: Joan Cambon

Jusqu’au 4 avril 2014 à 21 h

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt paris 8
Métro : Franklin Roosevelt
Réservation au 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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