ƒƒƒ Critique Denis Sanglard
©Richard Volante
Pierre Molinier l’androgyne
Corseté, gainé de bas, chaussé d’une paire d’escarpins aux talons aiguilles vertigineux, Pierre Molinier (1900-1976) est de retour au Théâtre Bastille. Bruno Geslin et Pierre Maillet reprennent cette création de 2004. Et c’est le même enchantement. Un spectacle cru, direct, drôle où rien n’est éludé. La parole de Pierre Molinier est un formidable hymne à la liberté, à l’invention et la vérité de soi. L’interprétation plus que troublante de Pierre Maillet est d’une telle intelligence qu’elle désamorce toute polémique. La modernité de Pierre Molinier, dans l’affirmation de son être et de sa sexualité dont il fit une œuvre, est ici éclatante. Visionnaire et provocateur, lui qui voulait « transformer le monde en un vaste bordel », Pierre Molinier l’androgyne, fait exploser du haut de ses talons aiguilles la morale bourgeoise et renvoie l’individu à sa part d’ombre, loin de toute identité figée, pétrifiée d’a priori. Le godemiché devient une arme redoutable ici contre les cul-serrés. L’intelligence de cette mise en scène, qui aurait pu être casse-gueule, est qu’elle évite tout voyeurisme. La mise en scène et la scénographie renvoient à l’œuvre, et à elle seule, suffisamment prégnante pour ne pas en rajouter. Érotisme brut, bandant, jouissif, inventif et joyeux où le double de Molinier/Maillet prend la pose (incroyable Nicolas Fayol à la présence magnétique). Ainsi l’œuvre photographique s’incarne véritablement, charnellement, sexuellement. Ce n’est pas un concept abstrait mais bien l’aboutissement et le résultat d‘une expérience vécue et revendiquée puis retravaillée. Le corps s’expose mais paré d’un discours qui l’exonère de toute pornographie.
La force également de l’adaptation est qu’elle ne s’arrête pas à cet univers fétichiste. Sous le masque ou la voilette, la vieillesse ronge la face de Pierre Molinier. Eros et Thanatos sont un couple indissociable. Pierre Molinier ne se cache pas d‘une certaine fascination pour la mort, lui qui photographia sa tombe prématurée. C‘est avec beaucoup de délicatesse que Bruno Geslin aborde ce chapitre. Rien de morbide, bien au contraire. « Je me donne volontairement la mort et ça me fait bien rigoler ». Quel enculé!
Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée…
Inspiré de l’œuvre photographique et de la vie de Pierre Molinier (1900-1976)
Adaptation théâtrale Bruno Geslin et Pierre Maillet
D’après les entretiens de Pierre Chaveau avec Pierre Molinier réalisés en 1972Mise en scène: Bruno Geslin
Avec: Pierre Maillet, Elise Vigier, Nicolas Fayol
Images: Bruno Geslin, Samuel Perche
Son: Teddy Degouys
Lumière: Laurent Bénard
Construction et régie plateau: Patrick Le Joncourt
Costumes: Laure MahéoThéâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 ParisDu 12 au 30 juin à 21h, dimanche à 18h, relâche le lundi
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com