Critiques // Critique • « Médée, poème enragé », texte et mise en scène de Jean-Réné Lemoine à la MC93 Bobigny

Critique • « Médée, poème enragé », texte et mise en scène de Jean-Réné Lemoine à la MC93 Bobigny

Mar 05, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « Médée, poème enragé », texte et mise en scène de Jean-Réné Lemoine à la MC93 Bobigny

ƒƒ critique Denis Sanglard

Jean-René Lemoine

© Alain Richard

Médée la barbare infanticide. Médée la magicienne en exil, humiliée, éconduite par l’homme à qui, trahissant sa patrie, elle offrit la toison d’or. Jean-René Lemoine s’empare de façon très singulière de cette figure mythologique. Médée, poème enragé est une longue plainte où couve la rage sourde, la colère glaciale. Chant d’exil, chant d’amour, chant de haine de celle qui, étrangère aux autres, aimée, haïe des autres devint étrangère à elle-même jusqu’à la haine de soi. Poème épique universel qui fouille les arcanes de l’intime et les racines du mythe, c’est un texte fleuve abrupt. Jean-René Lemoine entremêle les fils les plus ténus de la passion, des liens amoureux, tisse une toile tragique au centre de laquelle hurle silencieusement, rageusement la solitude absolue de Médée devenue une figure tutélaire contemporaine par le regard qu’elle porte sur le monde. Monde transgressif où l’altérité est bafouée, l’étranger honni, les corps instrumentalisés. C’est une fable contemporaine où le mythe de la magicienne est comme un miroir se démultipliant à l’infini, chaque reflet offrant un nouvel angle désespéré sur le monde d’aujourd’hui.

Jean-René Lemoine est Médée. Plateau nu, parole nue et crue. Mise en scène dépouillée à l’extrême qui laisse au chant de Médée, la plainte froide de Médée, occuper tout l’espace. Seul devant son micro, le corps hiératique, à peine quelques mouvements de bras retenus, c’est un corps qui se contient, qui se tient, fiché comme une lance. Plus tard viendra l’esquisse d’une danse, seul et unique mouvement d’ampleur. La parole est tranchante, incisive, vibrante. Rien de craché, rien d’hurlé. Nul éclat de voix, d’imprécations jetées. C’est un orage blanc, une mer étale. Une fois, une seule fois, un bref instant, la tension se libère, comme un abcès qui crève.

Il y a quelque chose de fortement androgyne en Jean-René Lemoine qui transfigure le mythe de la barbare, lui donne son poids humain universel et contemporain. On est quelque peu déstabilisé par ça, cette Médée clivant le genre, mais très vite cela s’estompe par la justesse de la proposition. La parole de Médée c’est aussi la parole du poète transfiguré. Encore une fois, ce qui importe est cette voix qui s’élève, ce chant poétique brûlant de fièvre mais qui vous glace jusqu’aux os.

Le texte est long… On cherche en vain où s’accrocher dans ce déferlement mais la seule prise offerte est le texte qui envahit le plateau et la salle jusqu’à saturation. La création musicale et sonore de Romain Kronenberg n’offre que peu de respiration et participe de cet étouffement, ce côté anxiogène. Nous sommes comme les enfants de Médée, comme eux noyés. Il faut se laisser embarquer, accepter cet embrassement, cet embrasement de Médée. Il faut lutter contre aussi. Mais la proposition, la vision poétique, le regard de Jean-René Lemoine que ce mythe prégnant ne peut laisser indifférent.

Médée, poème enragé
Texte et mise en scène de : Jean-Réné Lemoine
Avec : Jean-René Lemoine et Romain Kronenberg
Création musicale et sonore : Romain Kronenberg
Collaboration artistique : Damien Manivel
Dispositif technique : Christophe Ouvrard
Lumières : Dominique Bruguière
Costume : Bouchra Jarrar
Maquillage : Marielle Loubet
Assistant à la mise en scène : Zelda Soussan
Assistant lumières : François Menou

MC93 de Bobigny
Salle Christian Bourgois
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny

Du 3 au 23 Mars à 20h30
Le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30
Relâche mercredi et jeudi

Réservation 01 41 60 72 72
www.MC93.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.