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Critique • « Le songe d’une nuit d’été », mise en scène de Kirill Serebrennikov à Chaillot

Mar 19, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « Le songe d’une nuit d’été », mise en scène de Kirill Serebrennikov à Chaillot

ƒƒƒ critique Denis Sanglard

kirill1© Anna Shmitko

Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare mis en scène par Kirill Serebrennikov peut surprendre plus d’un spectateur par sa radicalité mais aussi par sa réécriture. Ce Songe-là est une longue introspection dans la psyché humaine, une descente en enfer dans les arcanes profondes du couple, les relations homme-femme. Guerre des sexes au réel comme au figuré. Il y a comme un malentendu originel, une incompréhension radicale entre les personnages. Un chaos qui engendre une violence, un malaise. Les personnages de cette comédie ne sont que le fantasme rêvé ou l’avatar de personnages se débattant dans une réalité bien plus noire qu’une forêt enchantée. Pour ce faire, au texte original Kirill Serebrennikov adjoint de longues digressions, monologues de Valery Pecheykin qui expriment l’inconscient troublé de chacun. C’est une lecture psychanalytique et sociologique du conte. Le texte de Shakespeare agit ainsi en opposition et comme un révélateur des conflits sous-jacents qui articulent les relations entre les personnages. Version pessimiste et noire d’un monde contemporain axé sur la violence des rapports inter-sexes dont le couple représente sans doute l’exemple le plus immédiat. Les scènes entre Hippolyte et Thésée, les personnages sont doublés, atteignent ainsi un point de cruauté inédit. Nous oscillons entre le désir et la réalité, nous sommes dans le registre de l’inconscient et du fantasme. De plus, Hippolyte et Thésée sont le contrepoint d’Oberon et de Titania, devenus en quelque sorte leurs avatars. Kirill Sebrennikov donne ainsi une épaisseur insoupçonnée aux personnages, explorant tous les possibles, les méandres de leur inconscient. Les personnages semblent en perpétuelle métamorphose, protéiformes, entre réalité et inconscient qui les voit passer d’un registre à l’autre, d’un état à l’autre, d’une réalité à l’autre. Et c’est aussi cela qui, comme un effet de balancier, les relie les uns aux autres.

Le choix scénographique de la bi-frontalité et de la proximité renforce l’effet entomologique. Kirill Serebrennikov agit comme un scientifique et observe. Comme lui, comme Puck, nous observons, déambulant d’une installation à l’autre. Il articule l’œuvre en quatre parties comme autant d’expérimentations sur un même fait. Le résultat est troublant, de voir ainsi s’emboîter de façon logique et presque à l’identique les mêmes scènes, pourtant radicalement différentes sur le fond et la forme, se répétant comme un écho renforcé des précédentes. Avec, comme fil rouge, cette obsession de la communication impossible entre les sexes. Le Songe prend une densité, une vibration inquiétante et fascinante. Participe de cet enchantement noir la formidable cohésion des acteurs, véritable collectif. Ils sont très jeunes. Mais d’une maturité scénique incroyable. Issus de la prestigieuse école du Théâtre d’Art de Moscou, ils font partie désormais du studio 7 qui regroupe les plus doués d’entre eux. Kirill Serebrennikov les emmène loin, très loin dans cette ronde infernale. Ils sont scrutés au plus près. Ils vont eux-mêmes au bout et même au-delà de leur engagement. On peut ne pas adhérer à cette mise en scène dense et audacieuse qui demande une certaine concentration mais on ne peut pas rester insensible à ceux-là qui font de cette création une œuvre cohérente. Leur jeunesse même trouble les enjeux dramaturgiques de ce Songe qui semble prendre ainsi racine plus profondément. Comme si les conflits n’étaient pas seulement culturels mais aussi inhérents et propres aux hommes. Irréconciliables donc. Mais tout n’est pas sombre. La scène des artisans répétant le drame de Pyrame et Thisbé amène une formidable respiration et surtout permet une étonnante et formidable conclusion de l’œuvre dans sa forme dramaturgique. Un retournement surprenant qui bouleverse, renverse cette mise en scène qui prend aussitôt une autre perspective. Là, l’émotion vous prend par surprise et nous sommes brutalement fauchés par cette mise en scène étonnement plastique.

Le Songe d’une nuit d’été
D’ après William Shakespeare
Version scénique et mise en scène de Kirill Serebrennikov
Réécriture et textes additionnels : Valery Pecheykin
Conception et création du décor : Katya Bochavar
Chorégraphie : Anna Abalikhina
Costumes : Kirill Serebrennikov, Kirill Mintsev, Ekatarina Gurbina
Assistant à la mise en scène : Anton Vassiliev
Equipe pédagogique : Andrey Kuzichev, Marina Golub, Mikhail Lobanov
Avec : Evgeniya Afonskaya, Phillipp Avdeev, Artur Beschastny, Evgeny Dahl, Ivan Fominov, Alexander Gorchilin, Yana Irtenyeva, Nikita Kukushkin, Tatiana Kusnetsova, Yuri Lobikov, Svletana Mamresheva, Rinal Mukhametov, Maria Poezzhaeva, Alexandra Revenko, Ilya Romashko, Harald Rosenstrom, Evgeny Sangadzhiev, Artyom Shevchenko, Roman Shmakov, Ekatarina Steblina

Théâtre national de Chaillot
1, place du Trocadéro 75116 Paris

Du 14 au 19 mars 2014
Durée 3h20, spectacle en russe surtitré

Réservations 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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