ƒƒƒ critique Dominika Waszkiewicz
© BM Palazon
Dans la petite salle du Paradis, tout en haut du superbe escalier en colimaçon dans lequel s’engouffrent des spectateurs un brin interloqués, nous attend une surprise de taille. Le plateau, sobrement paré d’un décor familier, nous dispose à assister à un petit spectacle d’un théâtre un peu suranné, facile et sans prétention. Quelque chose d’assez inutile peut-être, de pas tout à fait abouti sûrement. Alors, on tente de ne pas se montrer trop critique, on relève une ou deux approximations de prononciation et… on ne sait comment, on se retrouve soudain happé par l’incroyable intelligence de la mise en scène. En place et lieu de tâtonnements, c’est le talent qui s’impose à nos attentions accaparées.
L’inquiétante étrangeté
Le théâtre de Martin Crimp est un théâtre délicat à cerner, où le réel avoisine l’étrange, où le quotidien vire facilement au cauchemar. Ses personnages, perdus au sein de combinaisons inextricables, se perdent et s’agrippent par le biais de mots tragiquement aiguisés. C’est un théâtre de la cruauté dévoilant nos propres égarements dans un monde protéiforme et hostile.
Richard (Patrick Schmitt) et Corinne (Emmanuelle Meyssignac) ont décidé de s’installer à la campagne pour y goûter une paix nouvelle et oublier les erreurs passées. Richard est médecin, Corinne s’occupe du foyer. Un soir, Richard découvre une jeune femme (Rebecca, alias Larissa Cholomova) inanimée sur le bas-côté de la route et la ramène chez lui. En tout cas, c’est ce qu’il raconte à sa femme… Mais, le doute va vite dévoiler une furieuse volée de suppositions et de potentialités. Jusqu’à remettre en question l’existence même des protagonistes, simples « personnages ». Et si tout ceci n’était qu’un prétexte ? Si, finalement, le vrai personnage principal était justement le doute, négation suprême de la narration ?
Construite comme une intrigue policière, la pièce nous entraîne au bord d’un gouffre vertigineux dont le vide nous attire et nous laisse, nous aussi, contaminés par le doute omniprésent.
Quand la mise en scène se met au service d’un texte
Le vertige si singulier de cette œuvre nous est transmis grâce à la constante précision du jeu des trois comédiens. Dans les méandres d’un texte jonglant sans cesse entre ellipses et banalité, se découpe une interprétation subtile, sans effets, servant au plus près la complexité de l’auteur. Peu à peu, les repères s’effacent et l’ombre vient envahir l’espace, indéchiffrable et inquiétant. Les jeux de lumière semblent nous dire quelque chose, nous mettre sur la voie d’une réponse. Mais les quatre tableaux s’enchaînent et le voile reste intact. Seuls les étranges rires de Corinne résonnent presque gaiement dans cette salle soudain bien moins paradisiaque… « Il n’y a pas de limite à ce qui peut être dit »… au théâtre !
La campagne
De Martin Crimp
Traduction : Philippe Djian
Mise en scène et scénographie : Patrick Schmitt
Costumes et accessoires : Laurence Chapellier
Régie générale : Xavier Bravin
Avec : Larissa Cholomova, Emmanuelle Meyssignac, Patrick SchmittDu 11 septembre au 26 octobre 2013
Du mardi au samedi à 19h
Durée : 1h45 sans entracteLe Lucernaire
>53 rue Notre-Dame des champs 75006 PARIS
Tél : 01 42 22 26 50
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