Critiques // Critique • « Exhibit B » de Brett Bailey au Centquatre

Critique • « Exhibit B » de Brett Bailey au Centquatre

Nov 28, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Exhibit B » de Brett Bailey au Centquatre

ƒƒ critique Suzanne TEIBI

exhibit_b_0© DR

Techniques mixtes

Exhibit B n’est pas tout à fait un spectacle théâtral. Il est présenté comme une exposition dont les œuvres sont vivantes. Avant tout, c’est une expérience singulière dont on ne sort pas indemne.

Vous pénétrez d’abord dans une salle d’attente, vous vous asseyez sur une chaise sur laquelle se trouve un numéro. La femme qui vous accueille, l’air préoccupé, appellera les numéros un à un, vous faisant entrer au compte-goutte dans la salle, et laissant un certain temps d’attente entre chaque numéro. De fait, vous êtes séparé de votre voisin, car les numéros semblent aussi là pour isoler un peu les gens. La femme vous demande aussi de ne plus parler. Vous entrez alors dans un état de recueillement. Votre voisin est appelé. Les gens autour de vous aussi, petit à petit. Vous pouvez être le dernier.

Ça y est, c’est à vous. Vous entrez, fermez soigneusement la porte. Vous pénétrez dans un grand espace sombre, à l’atmosphère pesante. Ce qui frappe, en premier, c’est ce chant a cappella qui remplit l’espace. Il préexistait à votre entrée, et il vous accompagnera pendant toute la durée de votre passage, donnant une dimension sacrée à cette expérience. Vous pourrez alors déambuler dans cet espace, passer d’une installation à l’autre comme il vous plaira. Mais ce parcours n’est pas des plus simples.

Car les œuvres présentées ici placent le spectateur dans une position délicate.

C’est qu’Exhibit B aborde un sujet épineux et tabou : le racisme par le biais de la relation Europe / Afrique. Les installations mettent en scène des Africains, ou des gens issus de l’immigration africaine, tous des hommes et des femmes noirs. Chaque œuvre est accompagnée d’un cartel, à la manière d’une œuvre d’art traditionnelle, qui énumère les matériaux, les techniques : « Techniques mixtes. Siège d’avion, un Somalien, chaussures, ruban d’emballage, attaches de câble, une corde. » Au sein de cette installation, un homme (appelé ici « un Somalien »). Bâillonné. Il plante son regard dans le vôtre, longtemps.

Toutes ces personnes, au moins une par installation, se tiennent face à vous, vous regardent. Elles reprennent des épisodes du colonialisme dont on parle peu aujourd’hui. Elles ont la position de l’esclave noir en Afrique, principalement l’actuelle Namibie colonisée par les Allemands à la fin du XIXème siècle.

g_131125Le104BrettBailey01b

Cabinet de curiosités

Ce sont des œuvres coup de poing, des tableaux vivants présentés à la manière de natures mortes. Chaque homme, chaque femme, doit fait face à l’Histoire qui ne peut être oubliée.

Chaque installation relate un épisode douloureux de l’histoire du colonialisme et les désastres qu’il a engendré : massacres, humiliations, assassinats.

Cette mise en scène – l’observateur face à l’esclave, au marginal, au discriminé – place le spectateur dans une position troublante. L’œuvre ne bouge pas, le spectateur tourne autour, s’y arrête, le temps qu’il souhaite, décide ou pas de s’attarder. Difficile de soutenir le regard, difficile de sourire aussi, difficile donc d’être en échange.

© DR

Pour autant, cette relation ne semble pas malmener le spectateur jusqu’au bout. Exhibit B se clôt sur un superbe cadeau. La toute dernière installation se compose de quatre chanteurs et chanteuses. Il s’agit de la chorale que l’on entendait depuis le début. Les voix, qui hantaient tout l’espace d’exposition, n’étaient pas une bande son. Ces gens sont bien vivants. Leur mémoire aussi. Sous des photographies encadrées de Namas décapités (1906), se trouvent des socles dont ne dépassent que les têtes des chanteurs Namas de cette chorale poignante. Le cartel de cette installation inclue le spectateur à cette œuvre. Sans le spectateur, témoin de l’Histoire, l’œuvre ne peut pas exister. La mémoire des morts non plus.

 
Exhibit B
Du 25 au 27 novembre 2013
25 et 26 novembre : sessions entre 19h et 22h20
27 novembre : de 17h à 22h
départ toutes les 20 minutes  

Création : Brett Bailey
Directeur technique : Raphael Noel
Chorale Namibie : William Mouers, Chris Nekongo, Lesley Melvin Du Pont, Avril Nuuyoma
Avec : Alexandre Fandard, Guillaume Mivekannin, Chantal Loial, Eric Abrogoua, Rodin Mutunani aka « Mr Zero », Jelle Samminadin, Toussaint Adjati, Agnès Naya Banfora, Junadry Leocaria, Jean-Philippe Mpeng-Backot aka « SOON », Muna Mussie, Machita Doucoure  
Le centquatre
5, rue Curial – 75019 Paris 
Métro Riquet
réservations : 01 53 35 50 00

http://www.104.fr

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.