Critique de Dashiell Donello
Eugenio Barba, en hôte attentif, nous accueille dans un espace bi-frontal où gît, au centre, un proscénium de planches qui fait penser à un radeau. Ce plancher porte une table, un cercueil, un aquarium, un guéridon, une porte. On ne sait trop. Peut-être est-ce tout cela à la fois. Sur le mur du fond de monstrueux crochets de boucherie prédisent des tortures d’un futur proche. Dessous un suaire blanc, un corps inerte. La lumière est partout sans dire son nom pour mieux accueillir la nuit. Des frôlements de tissus hantent et chuchotent le commencement.
La première image, c’est nous, le public. Nos visages pourpres sont figés dans la couleur du sang. Nous voilà symbole guerrier d’une fresque qui représente la troisième guerre civile dans l’Europe de 2031.
Bien sûr ce n’est pas dans ce descriptif qu’est l’essence de l’Odin Teatret, mais plutôt dans la profondeur de ces 47 années d’un travail de groupe qui se considère comme une famille qui souhaite (le plus tard possible) faire tombe commune, tant ce mot « Famille » n’est pas, chez eux, galvaudé.
« Je me dis qu’un lien mystérieux relie l’espoir à l’incompréhensible ». Eugenio Barba
On dit souvent que les spectacles d’Eugenio Barba ne sont pas faciles à déchiffrer. Mais que faut-il comprendre des courants marins ? Barba gomme à grand trait tout ce qui vient de l’ennui : des paysages immobiles, désespérés, loin d’un panorama pétrifié par les clichés dramatiques. Le fluide et les variations des profondeurs abyssales, c’est ce qu’ Eugenio Barba avoue rechercher dans son théâtre.
« Une question me hante : et s’il était immobile ? »
Rassurez-vous Monsieur Barba ce que vous donnez au regard du spectateur est tout sauf immobile ! Ce serait incompréhensible de voir une étendue de glace dans « La vie chronique », tant la vie jaillit de ces êtres, car les comédiens de l’Odin Teatret incarnent bien plus que des personnages : ils sont la vie amplifiée. On ne dira rien de cette histoire, car l’ignorance vous ouvrira sa porte. Sachez seulement qu’une veuve lave le corps d’un mort au son d’un opéra rock. Qu’une Vierge Noire danse avec un costume et jette les cartes du destin ; que vous verrez peut-être un ange, Antigone, un pantin soldat, saint Jérôme et bien d’autres. Vous comprendrez des langues que vous ne parlez pas, des actions que vous n’avez jamais imaginé et même je crois que vous serez acteur en n’applaudissant* pas à la fin du spectacle, mais en allant embrasser cette grande et magnifique troupe de l’Odin Teatret.
* : Vous comprendrez ce petit secret en allant voir
La vie chronique
Textes : Ursula Andkjær Olsen et OdinTeatret
Mise en scène et dramaturgie : Eugenio Barba
Assistants à la mise en scène : Raúl Iaiza, Pierangelo Pompa, Ana Woolf
Avec : Kai Bredholt, Roberta Carreri, Jan Ferslev, Elena Floris, Donald Kitt, Tage Larsen, Sofia Monsalve, Iben Nagel Rasmussen, Fausto Pro, Julia Varley
Dramaturge : Thomas Bredsdorff
Conseiller littéraire : Nando Taviani
Lumières : Odin Teatret
Conseiller lumières : Jesper Kongshaug
Espace scénique : Odin Teatret
Conseillers espace scénique : Jan de Neergaard, Antonella Diana
Musique : Odin Teatret et mélodies traditionnelles et modernes
Costumes : Odin Teatret et Jan de Neergaard
Directeur technique : Fausto Pro
Production Nordisk Teaterlaboratorium (Holstebro), Teatro de La Abadía (Madrid),
The Grotowski Institute (Wroclaw).
Création le 12 septembre 2011 à Holstebro
Du 8 au 19 février 2012, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30
AUTOUR DU SPECTACLE
– Du 9 au 19 février, plusieurs stages, rencontres, et démonstrations vous seront proposés. Renseignements : www.theatre-du-soleil.fr
– Stage avec Eugenio Barba et Julia Varley à l’ARTA : “Penser en actions”.
Renseignements et inscription : 01 43 98 20 61 | www.artacartoucherie.com
Théâtre du Soleil
Cartoucherie- Route du champ de Manœuvre – Paris 12ème
Métro Château de Vincennes