ƒƒ critique Denis Sanglard
C’est la chute finale
Lehman Brothers… Qui sont-ils derrière le nom de cette banque dont la faillite en 2008 entraîna les bourses mondiales dans sa chute avec les conséquences tragiques dont nous subissons encore les violents contre-coups. Devenue le symbole de la crise économique actuelle et d’un système financier gangrené de l’intérieur, obscur au non-initié, qu’y avait-il donc derrière cette banque jusque-là peu connue malgré ses ramifications mondiales ? Trois frères, juifs allemands de Bavière, qui, un jour de 1844, émigrèrent aux États-Unis. Chapitres de la chute retrace la saga d’une entreprise familiale, commerçante de coton, devenue un empire financier vendu en 1984. Stefano Massini, l’auteur, en fait un conte au centre duquel l’histoire d’une famille épouse l’histoire d’un pays. Comment se construit un empire financier au gré des hasards et des opportunités. Saga familiale avant tout, la force de ce récit est justement de mettre l’humain en avant dans un milieu en apparence déshumanisé. C’est une vaste fresque où les relations fraternelles et filiales bâtissent une entreprise en expansion permanente. Cette expansion qui contient en germe sa chute. Stefano Massini brosse un portrait de chacun des membres de cette famille, de leur imaginaire qui épouse celui des époques traversées. Ce ne sont pas des portraits à charge mais des figures complexes où l’intime prévaut et les fantômes sont convoqués.
Arnaud Meunier s’empare avec un vrai bonheur de cette vaste fresque. Respectant la forme du conte, tout prend une dimension ludique. Nous sommes ancrés dans une réalité historique où la petite histoire rejoint la grande, mais également dans un imaginaire familial et culturel qui rejoint soudain l’imaginaire d’un pays en pleine construction avant la déconfiture. L’art de la narration, du conteur/acteur apporte légèreté à ce qui pourrait être un pensum. C’est souvent drôle même si perce l’inquiétude. Nous connaissons certes la fin mais elle importe peu. Ce qui compte et que souligne Arnaud Meunier c’est le destin de personnages qui soudain peuvent soulever un pays, bâtir un empire. En ce sens, ils sont les héros d’un conte moderne. Même si la fin, prévisible et crainte par certains, est synonyme de catastrophe mondiale. Les contes sont cruels, on le sait, et nous ne sommes pas chez Walt Disney. Les acteurs sont d’une grande finesse dans le dessin de leur personnage et manient cet art délicat du conteur/acteur avec un singulier sens du rythme qui donne à cette longue saga un tempo enlevé. Une rupture de ton permanente qui provoque une attention des plus aigüe, une heureuse distance. Aidée en cela par une scénographie des plus astucieuses qui voit le plateau, boite grise, se transformer à vue. C’est peut-être justement cela qui caractérise le mieux cette création. Vitesse et transformation. Cette transformation permanente à l’image de cette famille où chacun des membres se métamorphose, métamorphosant l’entreprise, épousant les soubresauts et les mutations d’un pays en perpétuel mouvement. Un mouvement qui s’accélérant et bientôt hors contrôle, ne peut que finir dans le mur. Mais qui savait que le dernier Lehman, Robert Lehman, était mort bien avant la chute de son empire ?
Chapitres de la Chute
Saga des Lehman Brothers
De Stefano Massini
Traduction de Pietro Pizzuti
Mise en scène: Arnaud Meunier
Avec: Jean-Charles Clichet, Philippe Durand, Martin Kipfer, Serge Maggiani, Stéphane Piveteau, René Turquois
Assistante à la mise en scène: Elsa Imbert
Dramaturgie: Charlotte Lagrange
Scénographie: Marc Lainé
Lumière: Nicolas Marie
Vidéo: Pierre Nouvel
Costumes: Anne Autran
Ateliers décors et costumes: La Comédie de Saint-Étienne
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
Jusqu’au 30 novembre, 19 h
Dimanche, 15h30 – Relâche les lundis
Réservations 01 44 95 98 21