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Critique • « Britannicus » de Jean-Louis Martinelli au Théâtre des Amandiers

Sep 17, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Britannicus » de Jean-Louis Martinelli au Théâtre des Amandiers

Septembre 16, 2012 |

Critique de Dominika Waszkiewicz

Fusion du politique et de l’intime : la naissance d’un monstre


©Pascal Victor

Désirant jouer sur le terrain favori de Corneille, Racine s’attelle ici à l’illustration d’un épisode de l’histoire romaine narré par Tacite. Trois ans après la mort de Claude, Néron, son fils adoptif, règne avec vertu. Burrhus et Sénèque le conseillent et l’épaulent tandis qu’Agrippine, sa mère, est imperceptiblement écartée du trône. Mais le revirement s’amorce…

Britannicus représente la double émancipation de Néron. D’abord, le fils trouve enfin son autonomie et sort du giron de sa mère. Ensuite, c’est l’avènement du tyran qui désavoue le joug de ses conseillers pour affirmer sa domination absolue. En somme, le moment choisi par Racine se révèle un moment de germination livrant peu à peu les traits du monstre à venir et que nous connaissons dans le paroxysme pyromane de sa folie. Le portrait de l’Empereur se dévoile au travers des croisements perpétuels entre les sphères publiques et privées et Racine semble nouer enjeux politiques et sentimentaux en une série de tensions internes et externes.

Un théâtre d’images et de figures

Gilles Taschet nous invite à entrer dans le moment théâtral par le bruit de l’eau qui tombe, pluie de l’aube, souvenir de rosée. Le rideau s’ouvre sur un prologue d’une beauté en suspens : image muette de la douleur d’une femme, silhouette diffuse derrière un écran diaphane, rideau gris du temps que l’on remonte… Le voile se lève et découvre une construction scénique imposante et belle au sein de laquelle ploie le désespoir d’Agrippine, alias Anne Benoît. Le monumental arc de cercle semble l’écraser et annonce déjà l’arène où vont se livrer les combats et dualités des personnages. Au fond, un propylée s’ouvre sur un mur de brique parfois caché à notre vue par un rideau rouge, couloir menant aux appartements de Néron et lieu d’où l’Empereur peut espionner ses sujets. Ne serait-ce pas aussi le reflet en symétrie de l’antre sacré du metteur en scène, le naos d’une forme de méta-théâtralité ?

Car, le problème est là peut-être : la tyrannie semble s’installer lorsque Néron commence à jouer et à mettre en scène, lorsqu’il triche et suit Narcisse sur la voie de la manipulation et des masques.

Des images fortes, donc. Des duels surtout. Néron-Agrippine. Néron-Britannicus. Agrippine-Burrhus. Néron-Junie. Les couples s’affrontent en tournant lentement sur le plateau central, pauvres figures victimes de leurs pulsions désirantes et destructrices. Tous paraissent lutter et comploter. Sauf Junie (Anne Suarez) qui sort, quant à elle, d’un cauchemar de Füssli et erre, toute blanche et tragique, sur la scène où se fige son destin.

Hiératisme et tâtonnements pour un tissage elliptique

Martinelli nous donne à goûter un théâtre d’images au sein duquel germe un jeu d’échos et d’affrontements mais les vignettes restent figées et les acteurs, noyés dans ce grand décor (au potentiel hélas peu exploité), deviennent des îlots autonomes et maladroits, engoncés dans les alexandrins classiques, pétrifiés dans le fourreau racinien.

L’indépendance accordée à chaque scène rend l’ensemble bancal et le tracé des lignes vectrices, flou. La dynamique du spectacle ne nous amène nulle part et la réaction chimique dont parle Barthes n’a pas vraiment lieu.

En outre, des maladresses plus techniques heurtent les yeux et détournent l’attention. Néron (Alain Fromager) apparait bien comme un jeune adulte à peine émancipé et déjà inquiétant d’incohérence mais pourquoi la pourpre de son manteau glisse-t-elle de ses épaules ? Surtout, pourquoi ce geste si peu impérial pour le retenir ? Problème de costume ou indication de jeu ? Et, que penser de la raideur d’Anne Benoît dont certaines répliques de l’acte V font sourire ? Est-ce aussi une volonté de hiératisme ou un décalage générationnel qui rigidifie certains passages ?

Enfin, pourquoi Junie laisse-t-elle apparaître ses barrettes en plastique à l’acte III alors que les costumes annonçaient plutôt une forme d’intemporalité conventionnelle ?

… En sortant de la salle transformable du théâtre des Amandiers, on se pose la question du sens de tout ceci. On se dit que c’est beau mais un peu creux tout de même, que la volonté de construire des passerelles n’a pas été assez forte pour venir jusqu’à nous, que les ponts sémantiques manquent encore de consistance organique. Bref, que tout ceci reste, hélas, bien loin de nous.

Britannicus

Texte : Jean Racine
Mise en scène : Jean-Louis Martinelli
Scénographie : Gilles Taschet
Lumière : Jean-Marc Skatchko
Costumes : Ursula Patzak
Coiffure, maquillage : Françoise Chaumayrac
Assistante à la mise en scène : Amélie Wendling
Avec : Anne Benoît, Éric Caruso, Alain Fromager, Grégoire Œstermann, Agathe Rouiller, Anne Suarez, Jean-Marie Winling

Du 14 septembre au 27 octobre 2012
Salle Transformable
Tous les jours à 20h30 sauf le dimanche à 15h30 et le jeudi 19h30 – Relâche le lundi
Durée : 2h10

Théâtre des Amandiers
7 av. Pablo-Picasso
92022 Nanterre Cedex
Tél : 01.46.14.70.00

www.nanterre-amandiers.com

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