Critiques // Critique • “Hiver” de Jon Fosse à L’étoile du Nord

Critique • “Hiver” de Jon Fosse à L’étoile du Nord

Mar 23, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • “Hiver” de Jon Fosse à L’étoile du Nord

Critique de Jean-Christophe Carius

L’étoile du Nord en hiver

Deux individus se croisent dans la ville. Un individu femme et un individu homme. Ils se rencontrent, se rapprochent, cohabitent, se quittent, se retrouvent, se rejoignent, et nous observons la trame filaire d’une mise en relation de couple, telle qu’elle peut se produire de nos jours.
Elle l’interpelle, se déclare “sa nana”, l’accompagne dans sa chambre à lui, se plaint, lui demande s’il la trouve belle. Il hésite, il a un rendez-vous pour son travail, l’invite dans sa chambre d’hôtel, répond “oui”, arrive trop tard à son rendez-vous. Elle dit qu’il ne fallait pas lui offrir des habits, qu’elle a répondu au téléphone à une femme, accepte de le retrouver le soir. Il dit que ça devait être sa femme, que les habits qu’il lui a offerts lui vont bien, lui demande si elle veut qu’ils se retrouvent le soir…  Il lui demande pourquoi elle n’est pas venue, lui raconte qu’il a démissionné de son travail, que sa femme l’a quitté. Elle le reconnaît finalement, s’étonne qu’il ait quitté son travail, accepte de rester, le rejoint, s’interroge à voix haute: “ça n’est pas comme ça…”

Jon Fosse, dramaturge norvégien de renom, crée un théâtre à l’écriture originale. Une langue de pensées répétitives et de dialogues aux accents du quotidien, composant avec les approximations, les suspends, le sur-texte social des échanges sans profondeur, mais développant en sourdine les aspirations, les élans et les rebonds de destins qui tentent de s’accomplir. Plutôt que du sens, sa phraséologie envoie des signaux, des affirmations et des questions inachevées, ponctuées de salves de “oui, oui, oui…”, de “non, non…” soulignant notre mode d’expression primaire, à nous autres animaux sociaux qui tentons de communiquer des points de vues presque toujours si bruts et si irrésolus qu’ils ne sortent que comme des petits cris expressifs.
Et pourtant, Jon Fosse nous montre que l’action se déroule en dépit de ces limites de conscience. Nous avançons toujours délibérément à la recherche de l’accomplissement de nos destinées, bien que prisonniers volontaires de nos formulations hasardeuses et des malentendus qu’elles engendrent.

Comme nos propres reflets dans des vitres teintées


La mise en scène que Émile-Anna Maillet, directrice artistique de la Compagnie Ex Voto à la Lune, a créée pour cette pièce, s’articule autour d’un dispositif de projections de films montrant des personnages en mouvement se surimposant aux comédiens et aux décors. Une ribambelle de figurants enregistrés traversant virtuellement le plateau dans les deux sens, rappelle la forme de foule si particulière que l’on trouve dans les couloirs surpeuplés des interconnexions de transports en commun. Ces images de jeunes gens à l’allure contemporaine orne le spectacle d’une chorégraphie de la marche urbaine qui le ponctue au rythme de la musique et d’un son spatialisé de pas résonnant comme un goutte-à-goutte entêtant.

Lorsque les scènes se font intérieures et intimes, le jeu des comédiens se mêle alors encore plus étroitement et plus subtilement à ces silhouettes fantomatiques mais communes, créant un effet saisissant de dédoublement des personnages de chair et déclenchant l’imagination en nous laissant agréablement croire que l’art du théâtre permet de visualiser l’invisible.

Violaine de Carné et Airy Routier jouent cette partition ténue, cherchant leur point d’équilibre sur le fil tendu entre le plein et le plat, le jeu des corps présents et les mouvements des ombres colorées des corps enregistrés. Violaine de Carné est une Vénus parfois plaintive et gracieusement callipyge et Airy Routier, un membre actif mais subalterne d’une société quelconque, qui s’ouvre à l’inconnue peut-être pour la première fois.

La lumière noire de cet espace, qui se doit d’être tamisé pour faire écran aux projections des personnages filmés, donne à l’ensemble de ces tableaux l’allure des images que l’on perçoit dans les vitres teintées. Cela laisse un souvenir comme le reflet des gens dans les vitres du métro, assombries par le noir des tunnels. Ces images de nous-mêmes qui prolongent nos présences physiques et révèlent l’autre part, plus muette, plus réceptive et peut-être plus consciente du destin qui se joue, pour chacun à cet instant, par delà le mouvement bringuebalant et ininterrompu de la grande ville humaine.

Hiver

De Jon Fosse

Mise en scène : Émilie-Anna Maillet

Avec Violaine de Carné et Airy Routier

Traduction : Terje Sinding (l’Arche éditeur)

Scénographie : Emilie-Anna Maillet, Maxime Lethelier

Création numérique : Maxime Lethelier

Magie Nouvelle : Raphael Navarro

Musique : Asaco Fujimoto

Directrice technique : Christel Rochet

Création lumières : Laurent Beucher

Assistante à la mise en scène : Clotilde Evrard

Vidéaste : Thibaut Bertrand

Les hologrammes : Alain Gintzburger, Antonin Jenny, Carole Bergen, Charlotte Fabre, Constance Maillard, Dacha Appolonova, Emmanuel Meyer, Etienne Tribu, Florent Ferrier, François Patissier, Guillermina Celedon, Isabelle Lafon, Jack Vincent, Kevin Rouxel, Lorraine Poujol, Louise Genin, Lucie Doirdogne, Margot Turbil, Marie Dablanc, Mattias de Gail, Melanie Fauconnier, Nicolas Helpiquet, Olivier Faraggi, Pierre Andrau, Pierre Gandar, Sara Bourre, Sonia Leval, Sophie Carrier, Théo Bluteau, Ylies Mahieddhine.

Du 20 mars au 14 avril mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à  19h30, samedi à 17h et à 19h30, relâche exceptionnelle jeudi 5 avril

RENCONTRE – tous les jeudis (sauf le 5 avril)

A l’issue de la représentation, une rencontre conviviale avec l’équipe artistique du spectacle est proposée dans le Café Championnet.

L’étoile du Nord

16, rue Georgette Agutte 75018 Paris

réservation : 01 42 26 47 47

Métro :  Guy Môquet –  Porte de Saint-Ouen –  Jules Joffrin

www.etoiledunord-theatre.com

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