Critique de Denis Sanglard
Alaska ton univers impitoyable
Une représentation complètement givrée. Normal, ça se passe en Alaska. Normal, c’est Copi, normal c’est Rabeux. C’est du grand, du magnifique n’importe quoi. C’est tout simplement génial. Dans un espace qui tient du peep-show, du cirque, du cabaret, propre à tout exhibition, elles sont impayables ces quatre folles maquillées comme un camion volé. Grotesques, pathétiques, vulgaires, camées jusqu’au trognon, jurant comme des charretiers, ces quatre jumelles qui n’en sont pas, vieux travelos en déroute, scandaleuses, n’en finissent pas de crever, de s’entretuer pour mieux ressusciter. Ne cessent de se piquer à l’héroïne, à la morphine, de sniffer de la coke. Ah, il faut voir Claude Degliame (Joséphine) se payer un dernier shoot, se taper une overdose en chantant Paloma ! C’est du grand guignol chez les trav’. Ca n’a ni queue, ni tête, ni genre. Transgenre plutôt. Les quatre comédiens n’ont peur de rien dans cette farce grandiose. Ils sont tout simplement phénoménaux en freak queer improbables. Et qui n’a pas rêvé un jour d’être une majorette ?
Le théâtre de Copi c’est du théâtre scandaleux. Celui de la cruauté, de la nécessaire cruauté qui voit les exclus, les marginaux, pas même gentils, vent debout emmerder la bien-pensance, la bienséance. Objets de scandale et alors ? Les personnages de Copi montrent avec fierté et rage leurs culs emplumés. Eloge de la différence, la vraie, la crue. Celle qui ne prend pas de gant malgré les paillettes, pas même avec elle-même. Comme ces jumelles qui s’entretuent et finalement n’emmerdent personne. Mais qui osent être elles-mêmes dans toute leur monstruosité. Qui vous tendent un sacré doigt d’honneur et l’enfoncent bien profond dans le marigot absurde de la normalité. Copi comme personne use et abuse du cliché, du stéréotype, des faits divers qu’il empile et sublime. S’il est bien un théâtre en apparence pauvre, cheap, c’est le sien. Minimaliste, faussement naïf et joyeusement, férocement transgressif. Insolent et follement crâne. La mise en scène de Rabeux est magnifiquement foutraque, volontairement bordélique. Pas d’effets réalistes, d’artifices, non. Nous sommes au théâtre, tout n’est qu’illusion. Le sang n’est pas du sang, les seringues sont vides, le révolver fait pan, les mains sont vides des lingots annoncés, l‘Alaska c‘est n‘importe quoi. Il suffit d’y croire. Et l’on y croit. On rit du pire qui advient. Rabeux ne nous dupe pas. Il prend Copi a bras le corps, délicatement, et lui rend sa pleine mesure en nous la jouant modeste, voir chiche et même ringard. Pathétique, lâchons le mot. Mais on s’en fout. C’est du grand art. Les quatre clowns qu’il lâche dans l’arène, complices de cette farce généreuse, nous offrent un moment rare. Un rire de résistance. Celui qui rassemble. Rabeux, comme Copi, nous offre un théâtre citoyen. Indispensable, nécessaire. Où l’espace d’une représentation je peux être cette vieille folle camée, dire des horreurs, dire la vérité, éructer le pire, finir dans un ultime éclat de rire avant de mourir. Être une majorette enfin.
Les Quatre Jumelles
De Copi
Mise en scène de Jean-Michel Rabeux
Avec Claude Degliame, Georges Edmont, Marc Mérigot, Christophe Sauger
Décors, costumes et maquillages de Pierre-André Weitz
Lumière de Jean-Claude Fonkenel
Assistant à la mise en scène Pierre GodartDu 21 mai au 23 juin 2012 à 21 h, relâche les 26, 27,28 mai et les 3, 10 et 17 juin.
Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette – 75011 Paris
Métro : Bastille, Voltaire ou Bréguet-Sabin
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com