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Critique • «La ménagerie de verre» au Théâtre de la Commune

Mar 12, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • «La ménagerie de verre» au Théâtre de la Commune

Critique de Anne-Marie Watelet

La Ménagerie de verre, un coeur mis à nu

Ce texte magnifique connut un triomphe en 1945 : premier succès pour T. Williams. Souvent porté à la scène (et non à l’écran comme l’avait prévu son auteur), c’est Jacques Nichet, épris de la pièce, qui cette fois l’a créée en 2009, et sa reprise aujourd’hui au théâtre de La Commune est une réjouissance !

Une chronique familiale placée en 1930, sur fond de crise économique et de dégradation sociale, dont une large part est autobiographique.

Saint-Louis au nord des Etats-Unis. Amanda femme qui peine à vivre,  sa fille Laura, trop fragile pour construire son existence, et Tom le fils et narrateur – le double de l’auteur. Car tant le lieu que les trois personnages appartiennent à la vie récente de T. Williams qui confie : «… l’on trouvera les traces de mon cœur mis à nu… »  Tom, poète en l’âme, qui rêve de prendre le large pour fuir l’existence étriquée de cette maison et sa mère abusive. Il lui reste les virées nocturnes avec les copains, l’alcool, le cinéma surtout, qui font le désespoir de celle-ci. Laura, la petite sœur de verre tant aimée (la sœur de l’auteur était schizophrène), qui enferme son bonheur dans sa collection d’ animaux miniatures en verre. Le père les a quittés sans laisser d’adresse – comme le père de l’auteur – mais survit dans la mémoire. Et chaque scène est un souvenir, relayée par Tom qui raconte et livre son désarroi, ses aspirations, avec les mots pétris d’une poésie puissante et imagée.

Le jeu des comédiens est d’une intensité et d’une justesse rares.

La frêle Agathe Molière traduit dans sa corporalité ramassée et sa voix  touchante de modestie la vulnérabilité de Laura. La peur de la misère, les frustrations et les accès de tendresse d’ Amanda, femme extravertie toute en nerfs, sont révélées avec une violence que Luce Mouchel mesure dans sa voix comme dans ses gestes, avec une variété de tons inouïe – jusqu’à atteindre le ridicule provoquant notre hilarité. Dans ses relations passionnées avec son fils on reconnaît les caractères-type de T. W. dont les comédiens traduisent la complexité. Tom, tour à tour tendre, désabusé et en lutte avec ses désirs de vivre libre, est interprété avec retenue et vérité par Stéphane Facco. Le passage où il évoque la guerre qui s’annonce et Guernica, en mimant avec une grâce naturelle un torero, nous saisit d’émotion. Ces impressions de naturel et de facilité sont, comme dans tout art, la preuve d’une technique travaillée et maîtrisée. Les éclairages modulent savamment les dialogues et les atmosphères changeants sur le plateau; le swing, l’Ave Maria, et autre musique aux accents graves accompagnent magnifiquement les joutes verbales, les confidences pathétiques et les élans lyriques.

L’originalité de la mise en scène réside dans les procédés de scénographie.

J. Nichet a respecté judicieusement la volonté de l’auteur de ne pas tomber dans le réalisme. Pour cela, un rideau joue avec la transparence (du verre) devant l’écran du fond, et les corps passent en ombre chinoise; des fragments de textes et de films font écho aux paroles énoncées, mise à distance qui trouve ici sa justification. C’est en même temps un hommage à son projet cinématographique. Irina Brook aussi a eu recours à l’effet d’écho, mais en dédoublant le son des voix. Par ailleurs, les animaux de verre manipulés par Laura nous renvoient symboliquement au monde de l’enfance dont elle ne sortira pas malgré ce jeune Jim qui… mais ne dévoilons pas la suite ! Renvoient aussi à sa fragilité et à celle de la vie, notamment dans cette situation socio-économique et politique dont les désastres ont fécondé le cinéma et le théâtre (l’excellent film La nuit du chasseur entes autres).

Les êtres ici gardent finalement leur mystère, et rien n’est achevé, comme le souhaitait T. Williams pour ses personnages dramatiques. « L’avenir, je l’appelle le possible, seule dénomination convenable », déclare t-il.

Une chose encore, et de taille : combien de femmes/mères, si elles en ont le courage, se reconnaitront en Amanda?!

Merci pour cette visite personnelle dans l’univers humain et intime de T. Williams !

La Ménagerie de verre

de Tenessee Williams
Texte français Jean-Michel Désprats
Mise en scène Jacques Nichet
Avec Dan Artus, Stéphane Facco, Agathe Molière et Luce Mouchel
Assistante à la mise en scène Aurélia Guillet
Composition musicale Malik Richeux
Scénographie Philippe Marioge
Lumières Dominique Fortin
Son Bernard Valléry
Images Christian Guillon et Mathilde Germi
Costumes Catherine Cosme

Texte publié aux Éditions Théâtrales dans la traduction de J. M. Déprats)

du mercredi 7 mars au dimanche 1er avril
mardi et jeudi à 20h, vendredi et samedi à 21h, dimanche à 16h30
relâches exceptionnelles mardi 13 mars, et du mardi 20 au dimanche 25 mars

Théâtre de la Commune 2 rue Edouard Poisson 93304 Aubervilliers
métro ligne 7 La Courneuve – station Aubervilliers-Pantin-Quatre chemins
puis 10 mn à pied ou bus n° 150 ou 170
navette retour gratuite vers Paris
réservations 01 48 33 16 16

www.theatredelacommune.com

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