Critiques // Critique • « Les Carnets Sud/Nord » de Jean-Paul Delore au Théâtre de Sartrouville

Critique • « Les Carnets Sud/Nord » de Jean-Paul Delore au Théâtre de Sartrouville

Mar 29, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Les Carnets Sud/Nord » de Jean-Paul Delore au Théâtre de Sartrouville

Critique d’Anne-Marie Watelet

Invité pour quelques jours au théâtre de Sartrouville, Jean-Paul Delore nous propose une aventure, la sienne, qui le propulse depuis 10 ans dans le monde entier, avec des artistes de tous horizons : Kinshasa, Brazzaville, Rio, Paris, Lyon, et Johannesburg. Trois créations en anglais, français, portugais, lingala et zoulou, indépendantes les unes des autres.

Voici deux des trois spectacles à la croisée des genres : musique, danse, littératures, image, chants; un voyage à travers les mots, les langues et la terre.

©Sean hart

Ster City

Deux comédiens-personnages, Nicolas et Lindiwe, sont à Johannesburg. Ils nous content sur un mode un peu ludique, les grandes étapes de l’Histoire en couleurs d’une certaine Afrique du Sud. Accompagnés par Dominique aux percussions et à l’harmonica, ces deux êtres du soleil commencent un récit truffé d’anglais et de zoulou, illustré de projections de cartes géographiques, et riche idée, la carte projetée sur la peau de Nicolas ! Et d’un petit film couleur volontairement sans prétention, montrant un  bouquet  de paysages humains et de sols. Des 3 millions d’années on passe à l’occupation hollandaise au XVIIème siècle, puis arrêt sur la colonisation plus tardive anglaise, française… Pour arriver à la « séparation », entendons l’Apartheid. Et si une dénonciation engagée politiquement s’exprime dans les paroles/chants de Lindiwe, c’est à la manière d’une jeune innocente, mais lucide, qui s’interroge et nous interroge, avec de la gravité dans sa voix, en même temps que la musique devient sombre : Une séparation dans le même pays?!.

Remarquable est le jeu de ce duo complice, tout en légèreté et aux corps imprégnés de musique.

Agilité naturelle, voix claire qui porte loin, (ce n’est pas le cas de Nicolas !), variations de tons colorés par son accent : la jolie Lindiwe fait participer son corps aux bribes de récits, telle une gazelle en son milieu naturel ; puis, ensemble, le chant et les percussions aidant, ils nous portent jusqu’à un rythme endiablé! Musique contemporaine traversée de noms lointains enchanteurs de l’Afrique, qui a fait  décoller les fauteuils du jeune public nombreux ! Dominique joue finement avec humour lorsqu’il devient élève ou cobaye de la jeune fille, tantôt docile, tantôt rétif. Le travail de scénographie est original, plein de surprises et néanmoins sans fioriture superflue.

Le musicien fait partie du jeu scénique : les sonorités, les rythmes, des suspensions collent  aux expressions et modulations des comédiens.

Ce spectacle à l’atmosphère enjouée, exprime les forces telluriques africaines, la chair et le sang, ainsi que les visions cosmiques du soleil et des étoiles. On regrette et on s’étonne de la tiédeur du public adulte !

Louis Sclavis

Langues et lueurs

La deuxième création : un récital accompagné de textes d’auteurs africains francophones ou non, qui également invitent au voyage.

C’est Jean-Paul Delore lui-même qui dit les textes, prenant la voix de poètes voyageurs attirés par la terre africaine. Le choix de certains fragments font écho  à Ster City  par l’indignation à l’égard de la séparation, et par l’invitation au voyage. Louis Sclavis, compositeur de jazz, se distingue par son audace à improviser, et par les sources d’inspiration qu’il explore en tous lieux et lors de ses rencontres avec sa clarinette. A la contrebasse, Sébastien Boisseau complète brillamment le duo.

Des « gorgées de souvenirs ».

Nous sommes saisis d’emblée. D’abord parce que, dès que cet homme à l’allure simple, debout devant nous, ouvre la bouche, sa voix et l’expressivité du visage forcent notre attention. Ensuite, il faut dire ! L’écriture de Michaux, de Rimbaud (qui, comme on le sait, s’est éxilé un temps en Abyssinie), ou « Le mort joyeux » de Baudelaire pour les plus connus, celle des textes africains comme Sony Laboutansi et les autres (cité ci-après), sont de nature à nous extraire de notre béatitude, secouer les bienséances littéraires tous points de vue « Viens baiser par ici ma Lulu » (seule variante dans le choix des textes, que certains se rassurent !) est d’une virtuosité d’écriture à couper le souffle !

Et les mots, les phrases sont dites avec la même force par la bouche et le visage émacié de Delore, qui module ou déchire ou crache ceux-ci, le regard tantôt enflammé, tendu vers nous, tantôt baissé dérivant vers les contrées lointaines. A un moment, le débit haché des mots et syllabes lancés avec force font penser à la « Locomotive » de Nougaro. Impressionnant. Il n’est pas seulement habité comme on dit, il explore encore et encore ces espaces mystérieux d’écritures fulgurantes. Et lors d’une pause, il n’a plus d’yeux que pour ses musiciens, qu’il entoure nous semble-t-il d’une vraie passion. Car il règne entre ces trois artistes une véritable osmose; les deux musiciens font preuve d’une concentration ténue, tout à l’écoute du  récitant  (qui ne récite pas, vous l’aurez compris). Le souffle sensuel et puissant de Louis Sclavis, modulé par les sombres et doux accents de la contrebasse font de ce récital un moment exceptionnel et rare. Nos sens et notre esprit sont retournés, détourné, tant par l’esthétique librement imagée, soit brutale soit onirique, toujours ancrée dans la réalité des choses tangibles : objets cotoyés par l’humain, lieux parfois étonnants, vécus intimement, dans cette mythique Afrique que tous ces auteurs ont chérie, et dont l’écriture a tenté d’en extraire les richesses, les vraies, en même temps que leur colère et leurs bonheurs là-bas.

Les carnets Sud/Nord que dirige J-P Delore, sont un laboratoire itinérant de créations théâtrales et musicales en Afrique Subsaharienne et Australe, au Brésil et en France. Il est aussi artiste associé au Théâtre Paris-Villette, et collabore à des compositions musicales contemporaines.

  • Ster City Théâtre musical (dès 10 ans)

Textes de Jean-Paul Delore, Lindiwe Matshikiza, Nicolas Welch, Isabelle Vellay
Mise en scène de Jean-Paul Delore
Avec Dominique Lentin, Lindiwe Matshikiza, Nicolas Welch
Collaboration artistique : Isabelle Vellay
Musique de Dominique Lentin
Lumière, scénographie de Patrick Puechavy
Costumes, maquillages de Catherine Laval
Vidéo, photos, scénographie  de Sean Hart
Projections, scénographie, régie générale de Guillaume Junot
Régie de Karine Hébrard

  • Langues et lueurs

Création de Jean-Paul Delore et Louis Sclavis
Textes d’Henri Michaux, Dieudonné Niangouna, Dambudzo Marechera, Sony Labou Tansi, Mia Couto, Charles Baudelaire
Contrebasse : Sébastien Boisseau
Clarinettes, harmonica : Louis Sclavis
Récitant : Jean-Paul Delore
Lumière de Patrick Puechavy
Costumes  de Catherine Laval
Régie de Karine Hébrard, Guillaume Junot

Mardi 27 mars – 19 h 30   Ster City / Langues et lueurs
Jeudi 29 mars -19 h 30    Ster City/ Sans doute
Vendredi 30 mars – 21 h     Sans doute
Samedi 31 mars -19 h 30  Langues et Lueurs / Sans doute

Centre Dramatique National de Sartrouville et des Yvelines
Place Jacques Brel 78500 Sartrouville
RER ligne A navette gratuite partir de la gare (aller-retour)
Réservations 01 30 86 77 77

www.theatre-sartrouville.com

Une 3ème création s’inscrit dans cet itinéraire :
Sans doute, de J-P Delore, qui réunit comédiens, musiciens et danseurs pour un « oratorio hard barock »
jeudi 29, vendredi 30, samedi 31 mars  21h

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.