Critiques // Critique • « La princesse de Clèves » de et avec Marcel Bozonnet au Théâtre des Bouffes du Nord

Critique • « La princesse de Clèves » de et avec Marcel Bozonnet au Théâtre des Bouffes du Nord

Juin 15, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « La princesse de Clèves » de et avec Marcel Bozonnet au Théâtre des Bouffes du Nord

Critique Bruno Deslot

La princesse et son glaive !

© Elisabeth Carecchio

Vêtu d’un pourpoint et d’une culotte bouffante, Marcel Bozonnet restitue la langue de Mme de La Fayette avec fluidité, simplicité et honnêteté. Les mots du XVIIe siècle nous parviennent au rythme tendre d’une délicieuse mélopée illustrant à la fois la volonté de se distinguer par la pureté du langage, par l’élégance de la tenue, par la dignité des mœurs et un amour idéalisé, en somme ce qui caractérisent la préciosité, ce courant littéraire français du XVIIe siècle.

Roman fondateur, La Princesse de Clèves est évoqué comme l’un des modèles littéraires qui ont inspiré Balzac, Raymond Radiguet ou même Jean Cocteau. Marcel Bozonnet s’est emparé de l’œuvre pour se faire le héraut de la tragédie du personnage principal. Il nous livre l’essentiel de la fable en 1h20 sans appauvrir le propos car sa mise en scène est au service des mots qu’il profère avec une attention toute particulière.
Une lumière crépusculaire dessine la silhouette fine et élancée du comédien dont les gestes, précis et peu nombreux, accompagnent la parole pour en assurer le prolongement. Un port de tête d’une grande noblesse, un visage aux expressions mesurées, le bras gauche à moitié tendu vers le haut la main tournée vers l’intérieur, le bras droit vers le bas dessinent un prolongement inverse…courbes et contre courbes contribuent largement à inscrire le personnage dans un tableau de maître. Statuette fragile, il surgit tel Henri II de Valois peint par Clouet. Princesse de Clèves ou mère de cette dernière, Prince de Clèves ou Duc de Nemours, Bozonnet investit les personnages avec subtilité et élégance, passant du récitatif aux parties dialoguées selon une musicalité métonymique. Une chorégraphie simple mais efficace consiste en une économie de déplacements pour le comédien, une gestuelle pondérée afin de toujours mieux illustrer le propos. Il déshabille une langue corsetée avec la pudeur et l’attention d’un galant homme. L’acteur dépasse largement le plaisir du simple monologue et se fraye un passage habile entre la complexité des sentiments et la concision de l’écriture levant le voile sur les tensions souterraines qui s’ourdissent durant toute l’aventure.
Regard pur et prude, pommettes à peine saillantes, sourire délicatement esquissé, la rencontre entre la Princesse de Clèves et le Duc de Nemours a lieu. Conquérant et robuste, traversant la forêt de Coulommiers oisillon à même le sol tenu par une arme lui crevant un œil, le Duc de Nemours connaît l’infortune. Le corps à peine en branle, se brisant parfois en angle droit, la géométrie des sentiments répond à une logique émouvante et communicative. Un souffle, un regard suffisent pour exprimer la puissante retenue des affects qui caractérisent les usages de la cour. S’inscrivant dans un courant presque maniériste, à la fin du spectacle, Marcel Bozonnet tire sa révérence en fond de scène, dos au public, face à un mur brut et s’en détache comme un élément intime d’une toile de maître. Dans son ouvrage « On n’y voit rien », Daniel Arasse aurait pu commenter ce détail comme l’élément essentiel de la composition, la clé de voûte de l’œuvre à laquelle on ne fait pas attention et pourtant elle est si magistrale que l’on ne peut y échapper.
L’ancien directeur du CNSAD, du Français, l’actuel directeur de la compagnie des Comédiens-Voyageurs porte en gloire une œuvre plus que jamais d’actualité. La Princesse de Clèves et son auteure, désormais popularisées par le cinéma, sont systématiquement citées dans les manuels scolaires. Le roman apparaît aux programmes des examens et concours de l’éducation nationale. Marcel Bozonnet et toute son équipe nous offrent un magnifique moment de théâtre durant lequel le public demeure infiniment troublé.

La Princesse de Clèves
D’après le roman de Madame La Fayette
Adaptation de Alain Zaepffel
Mise en scène et interprétation : Marcel Bozonnet
Chorégraphie : Caroline Marcadé
Lumières scénographie : Joël Hourbeigt
Costume : Patrice Cauchetier
Maquillage Suzanne Pfister

Du 13 au 16 juin 2012 à 20h30 ( Complet)

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
www.bouffesdunord.com

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