Critiques // Critique • « Chocolat, clown nègre », de Gérard Noiriel aux Bouffes du Nord

Critique • « Chocolat, clown nègre », de Gérard Noiriel aux Bouffes du Nord

Mar 18, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Chocolat, clown nègre », de Gérard Noiriel aux Bouffes du Nord

Critique de Denis Sanglard

L’auguste Chocolat stéréotype du nègre giflé par le clown blanc

Chocolat fut la première vedette noire française. Clown et danseur, cet ancien esclave fut adulé par le tout Paris de la fin du 19éme siècle. Chocolat, c’était en apparence la bonne conscience coloniale raciste française. Avec son comparse Footit, clown blanc dont il est l’auguste, Chocolat triomphe. Mais il y a malentendu. Le personnage qu’il joue, qu’il expose, celui qui sans cesse se prend des coups, inscrit de fait le stéréotype colonial du nègre giflé par le blanc. Nègre « (…) dont le masque impassible laisse le spectateur indécis de savoir s’il a devant lui une brute achevée et sans cervelle ou un malheureux très intelligent qui connaît sa déchéance morale, qui comprend tout, mais ne dit rien parce que…Cela ne servirait à rien! »(1). Chocolat de fait donne à voir ce qu’on attend de lui. C’est un clown. Qui illustre lucidement, en épaississant le trait jusqu’au grotesque, la vision butée d’une société sur l’altérité. Chocolat est le révélateur d’une société blanche en pleine mutation laquelle, après l’affaire Dreyfus, entraînera son déclin. Rafael Padilla meurt en 1917 dans le dénuement le plus complet, oublié,  et sera enterré dans la fosse des indigents de Bordeaux.

Marcel Bozonnet et Gérard Noiriel font œuvre d’historien. Ce n’est pas seulement l’histoire de Chocolat qu’ils narrent, histoire sordide au fond, que tout un pan de l’histoire française et du spectacle vivant. La curiosité  qu’exerçait Chocolat était celle de l’étranger, mêlée de méfiance et de préjugés, d’admiration sinon de fascination. A cet égard l’évocation des zoo humains de l’exposition universelle de 1900 est suffisamment éloquente pour traduire l’ambigüité même du statut de Chocolat. Ce regard porté par la société qui ne se décille pas devant l‘altérité. Rafael est doublement étranger de par sa couleur et de par son art. Il y a une mise en abyme permanente que souligne la mise en scène. Mise en perspective dont Chocolat n’est pas dupe. La danse d’abord, dîte simiesque, le cirque ensuite, lui permettent d’avoir un statut d’exception, certes, mais dans un emploi bien défini qui le renvoie siné dié à sa condition première de nègre et tous les clichés racistes que cela véhicule. Devenant le représentant d’un peuple noir fantasmé, il est enfermé dans un emploi qui finit par l’étouffer. Il y a comme une confusion entre le personnage et la personne. A ce titre la reconversion de Rafael après sa séparation d’avec Footit, est voué à l’échec. Il n’aura jamais le bon profil…

Cette circulation permanente d’un état à l’autre, cette boucle sans fin ou tourne Chocolat, le cirque en est l’illustration. Comme si cet univers, fermé sur lui-même, avait d’emblé marqué le personnage, scellé son destin. Marcel Bozonnet lance sur la piste simplement tracée au sol ces personnages qui ne cessent de se croiser, de tourner, de se courir après, de s’entrechoquer à l’image du couple Chocolat/Footit. Mais qui ne peuvent sortir de cet univers clos. Seul l’extérieur est évoqué par des projections vidéos sur une toile. Images de l’exposition universelle, de la grande guerre, des innovations techniques dont le cinéma qui tourne les premières images connues de Chocolat et Footit…Comme autant de repères historiques qui inscrivent Chocolat dans l’Histoire dont les soubresauts ne seront pas sans conséquence sur son propre destin. Sortir de la piste n’est plus une métaphore. Sortir de ce cercle magique c’est mourir, socialement et physiquement. Marcel Bozonnet inscrit l’échec de Chocolat dès les premières paroles de Rafael Pazilla. Chocolat dit sa mort et c’est le tragique d’un destin qui est annoncé sans roulement de tambour ni trompette.

Mais au-delà du destin d’un artiste singulier, la question que pose Marcel Bozonnet est notre rapport aujourd’hui avec l’Autre. Notre rapport à la culture et aux apports des artistes étrangers. Question brûlante que la diversité, au regard de notre actualité au moment même où se déchaîne une dérive droitière réactionnaire qui n’hésite plus à remuer les remugles racistes les plus ignobles au nom d’un patriotisme frelaté, puant la franchouillardise rance. L’Histoire semble un éternel recommencement…Cette création peut sembler de prime abord naïve au regard d’autres plus enragées. Mais justement cette naïveté ne rend que plus violente, en regard, l’actualité. Une expression est restée dans la langue française qui sans doute aujourd’hui prend toute sa valeur. « Etre Chocolat ». C’est peut être ça que Marcel Bozonnet met en scène. Notre capacité à être notre propre dupe.

1) les mémoires de Foottit et Chocolat, recueillis par Franc-Nohain. Illustrations de René Vincent, Pierre lafitte et Cie, 1907

Chocolat, clown nègre

De Gérard Noiriel
Adaptation pour la scène Gérard Noiriel et Marcel Bozonnet
Mise en scène marcel bozonnet
Avec Yann Gaël Ellouet, Sylvain Decure, Marion Combes Zuliani, Ode Rosset, Marcel Bozonnet
Costumes Rénato Bianchi
Chorégraphie Natalie Van Parys
Dispositif Marcel Bozonnet et Renato Bianchi avec la collaboration de Sara Sablic
Réalisation des costumes Sylvie Lombart
Conseil image Judith Ertel
Assistante à la mise en scène Manon Conan

Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 18 mars 19h
37bis Boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Réservations 01 46 07 34 50
En Tournée 27 mars 2012 Circuit, scène conventionnée pour les arts du cirque, Auch
2 au 6 avril 2012  La comédie de Caen
24 et 25 avril 2012  Hexagone , scène nationale de Meylan

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