Critique d’Anne-Marie Watelet
Parmi la foisonnante et passionnante production littéraire de Stefan Zweig, Elodie Menant a choisi d’adapter pour la scène son premier roman. Pourquoi pas?
Vienne 1913. L’Empire autrichien est en voie d’extinction, artistes et écrivains tentent encore de l’extraire du Panthéon des idées. Le cadre de cette histoire réaliste s’inscrit dans le conservatisme de la haute société, et une garnison militaire veille …
Nous sommes dans le salon du riche Kekesfalva, le père d’Édith, bon et joli parti pour un futur gendre. Sauf que, atteinte de paralysie, celle-ci vit clouée dans un fauteuil. Lors d’une soirée, elle rencontre un jeune officier, Anton, qui devient son unique raison de vivre. Lui se voit très vite pris au piège des conventions bourgeoises, et des railleries de ces Messieurs de la Cavalerie. Il s’enfonce dans un dilemme moral, pressé par le père d’épouser Edith. Compassion? Amour? Il ne sait. Personnage loyal, il refuse tout compromis.
On se dit, il s’agit là d’un roman « de jeunesse », car les composantes psychologiques des personnages sont moins fouillées, la violence de leur comportement plus limitée que dans les autres récits de Zweig. C’est qu’Élodie Menant, en revisitant le texte, a voulu alléger le drame, supprimant des monologues lourds de désespoir, ajoutant des traits d’humour dans les dialogues. De même, le cynisme et les humeurs sombres d’un être en souffrance comme Édith sont édulcorés, de ce fait, on la voit pleine d’innocence et de gaité. Elle a donné une dimension plus distractive à la pièce.
La question qui émerge de cet ensemble: quel est l’intérêt de porter à la scène ce récit aujourd’hui?Certes, le combat de chaque protagoniste est intéressant et toujours valable, notamment le désir, le droit au bonheur malgré la différence (ici le handicap de la jeune fille). C’est donc réussi du point de vue de l’adaptatrice, c’est une belle histoire romanesque où gaité l’emporte, et ça marche. Mais c’est peu, on attend autre chose. D’autant que la mise en scène, malgré quelques subtilités (jeu double dans le même espace scénique par exemple), suit les fils fictionnels, sans en tirer un en particulier qui donnerait plus de force ou attirerait notre attention. Manque de parti de pris.
Le jeu dans l’ensemble est inégal. Si le rôle d’Edith est riche en ruptures et en nuances, malgré une immobilité handicapante, celui du comédien Arnaud Denissel, se fourvoie dans un jeu manquant de justesse, qui se cherche et qui finit par être en force. S’il l’on ne connait pas ce roman, on ignore alors les origines modestes du personnage, on le perçoit alors trivial dans le rôle d’un officier altier.
La pitié dangereuse
Texte Stefan Zweig
Adaptation Elodie Menant
Mise en scène Stéphane Olivié Bisson
Avec Elodie Menant, Arnaud Denissel, David Salles, Alice Pehlivanyan, Jean-Charles Rieznikoff
Puis en alternance Arnaud Denissel avec Maxime Bailleul, David Salles avec Roger Miremont, et Alice Pehlivanyan avec Salima Glamine
Costumes Charlotte Winter et Cécile Choumiloff
Décors Linda Pérez
Lumières Olivier DrouotJusqu’au 30 septembre – Du mardi au samedi à 21h et exceptionnellement les dimanches 16, 23 et 30 septembre à 15h, relâche les lundis
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Métro Vavin / Notre-Dame-des-Champs
Réservation 01 45 44 57 34
www.lucernaire.frLe texte de la pièce sera publié aux éditions l’Harmattan en juin 2012
En hommage à Stefan Zweig, exposition des œuvres de Guillaume Sorel dans la galerie du théâtre