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Critique . «  Le Bourgeois Gentilhomme » de Molière. Podalydès/ Coin, au Théâtre des Bouffes du Nord

Juin 26, 2012 | Aucun commentaire sur Critique . «  Le Bourgeois Gentilhomme » de Molière. Podalydès/ Coin, au Théâtre des Bouffes du Nord

Critique de Jean-Christophe Carius

Denis Podalydès © Tous droits réservés

Festin de théâtre au Bouffes du Nord

Monsieur Jourdain est un célèbre bourgeois imaginaire du XVIIème siècle. Marchand prospère de tissus et draperies, il use de son capital pour transmuter sa nature roturière. Mais les signes extérieurs de galanterie qu’il s’achète ne font que le tourner en ridicule, à son insu. Le fiancé de sa fille, qui voit son mariage contrarié par la persistance de ses lubies irrationnelles, invente une cérémonie d’anoblissement burlesque et exotique qui plonge la folie du bourgeois dans une folie plus grande encore. Grâce à ce subterfuge audacieux, il pousse Jourdain dans les derniers retranchements de son rêve absurde et obtient par la ruse la main de celle qu’il aime.
Comédie-ballet, forme théâtrale initiée par Molière et principalement explorée par lui avec les grands musiciens de son temps, cette pièce est un divertissement à grand spectacle alliant rire, intelligence et beauté, et émaillant d’interludes musicaux et dansés, le récit de cette mésaventure qui finit bien.

Denis Podalydès porte un regard plein de sympathie sur ce bourgeois qui veut transcender sa condition. Sa personnalité se colore de la bonhomie riante d’un Auguste malmené par sa propre gaucherie et par le docte sérieux de ces clowns blancs perruqués, ces maîtres auxquels il a lui-même confié son éducation. Il n’apparaît pas comme un parvenu que la suffisance pousserait à se faire aussi gros que le bœuf, mais comme un rêveur enjoué, un homme enrichi et presque libéré de l’appât du gain, qui, alchimiste naïf et pré-révolutionnaire, croit dur comme fer que l’on peut transformer l’or en esprit.
De plus en plus grand maître – queux de l’art théâtral, Denis Podalydès sait l’importance que revêt la qualité des ingrédients qui composent un spectacle. Dans cette farce élevée, tous les constituants semblent relever d’un choix finement soupesé. Comédiens, musiciens et chanteurs, chorégraphe et danseurs, scénographe et créateur de costumes, artisans des lumières et du maquillage, s’accommodent avec art pour composer un festin de théâtre, une gastronomie des sens et de l’entendement.

Parce que Jourdain, maître drapier de son état, envisage d’abord la noblesse par l’apparat de ses tenues, Christian Lacroix costume la mise en scène de beautés expressives et somptueuses qui éclairent individuellement chaque rôle et instruisent subtilement sur les rapports entre les figures. Sur le plateau du théâtre des Bouffes du Nord, monument historique circulant entre piste de cirque et théâtre élisabéthain, la scénographie d’Éric Ruf s’érige jusqu’aux hauteurs de la corbeille et encadre un jeu communicatif, à jamais ignorant d’un quatrième mur. La direction musicale de Christophe Coin et les solistes de l’Ensemble Baroque de Limoges restituent la musicalité originale de cette œuvre et donnent à apprécier la qualité narrative et esthétique de ce mode de divertissement qui alterne intelligibilité du verbe et sensibilité des mélodies. Les danses, l’autre pan de cette volonté de spectacle total, laissent de fait le champ libre à une interprétation chorégraphique moderniste. Kaori Ito, artiste d’origine japonaise, réorganise dans une énergie virtuose, ludique et contemporaine, les sarabandes, bourrées, gaillardes canaries, gavottes et menuets qui quadrillent et innervent élégamment le récit.

L’alliage heureux du théâtre de texte et du théâtre du corps

Denis Podalydès produit un théâtre de la lisibilité qui puise dans tout l’arsenal des approches théâtrales pour atteindre l’efficacité de l’interprétation. Il réconcilie, sans coutures apparentes, le savoir des anciens et l’invention des modernes, et excelle dans la composition d’une diction formulée en accord avec une expression corporelle sans littéralité. Dans la fameuse scène de ménage à effet de miroir entre les deux couples que forment, d’un côté, Cléonte et son valet et, de l’autre, Lucile et sa servante, il fait une splendide démonstration de sa vision d’une certaine correspondance entre sens des mouvements du texte et mouvements physiques. Sa haute maîtrise de cette matière dessine le motif sous-jacent et inénarrable d’une scène d’anthologie du théâtre français. Démultipliant les répliques pour en accroître l’effet rythmique et dramaturgique, il subjugue la perception du spectateur en imprimant en lui de façon directe et sensible, le génie du sens de la prose de Molière. Cette manière subtile, presque subreptice, de mener un récit à la fois sur le plan oral et sur le plan physique compose l’alliage heureux d’un théâtre du texte dans son sens classique, et d’un théâtre du corps dans sa dimension contemporaine. La démarche artistique de ce metteur en scène propose au public un champ de création se situant au-delà de la querelle des anciens et des modernes. Il fait feu de tous bois pour exprimer avec justesse le sens de l’histoire qu’il représente et faire résonner avec doigté les cordes du pouvoir d’imagination de ses contemporains.

Le Bourgeois Gentilhomme

Comédie-ballet de Molière, musique de Lully
Mise en scène Denis Podalydès
Direction musicale Christophe Coin

Avec Isabelle Candelier, Manon Combes, Bénédicte Guilbert, Julien Campani, Manuel le Lièvre, Francis Leplay, Hermann Marchand, Leslie Menu, Nicolas Orlando, Pascal Rénéric, Alexandre Steiger, Thibault Vinçon, Kaori Ito, Artemis Stavridi, Jennifer Macavinta (danseuses en alternance) Romain Champion, Cécile Granger, Marc Labonnette, Francisco Mañalich (chanteur)

Et avec 7 solistes de l’Ensemble Baroque de Limoges : Clavecin : Francois Guerrier, Olivier Fortin, Yvan Garcia ; Flute : Maria Tecla, Andreotti ; Hautbois : Lola Soulier ; Violons et alto : Nicolas Mazzoleni, Louis Creach

Scénographie Eric Ruf, Sociétaire de la Comédie Française
Costumes Christian Lacroix
Chorégraphie Kaori Ito
Lumières Stéphanie Daniel
Maquillages et coiffures Véronique Soulier-Nguyen
Collaboration artistique Emmanuel Bourdieu
Assistant mise en scène Laurent Podalydès
Assistante scénographie Delphine Sainte Marie
Assistant costumes Jean-Philippe Pons

Du 19 juin au 21 juillet 2012 – Du mardi au samedi à 21h00 – Matinées les samedis à 15h30 – Relâche le samedi 14 juillet

Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, bd de La Chapelle 75010 Paris
Réservation: 01 46 07 34 50
Métro La Chapelle, Gare du Nord
Attention : la station de métro La Chapelle ligne 2 est fermée de juin à septembre. Accès par un bus de remplacement ou à pied depuis Barbès-Rochechouart et Stalingrad, accès à pied par la station Gare du Nord.

http://www.bouffesdunord.com

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