À l'affiche, Agenda, Critiques // Critique • « Lettre à ma mère » de Georges Simenon par Robert Benoît au Théâtre du Lucernaire

Critique • « Lettre à ma mère » de Georges Simenon par Robert Benoît au Théâtre du Lucernaire

Mar 13, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Lettre à ma mère » de Georges Simenon par Robert Benoît au Théâtre du Lucernaire

Critique d’Anne-Marie Watelet

Robert Benoît présente le dernier texte que George Simenon en 1974 adressa à sa mère sous forme de lettre, alors qu’elle décédait trois ans auparavant, à l’âge de 91 ans.

Ce livre est né des derniers jours qu’il passa auprès d’Henriette à l’hôpital. De cette proximité intime et ultime, il note les interrogations obstinées et les méditations qui le tourmentent depuis longtemps, sur les liens qu’ils n’ont pas eus. Car ils se sont manqués. De l’enfance à ces heures où il la veille.

 R. Benoît a déjà adapté et interprété avec succès, du même Simenon, « Lettre à mon juge ».Il faut croire qu’il a aimé et su pénétrer le territoire intérieur de cet homme plein de regrets et de manque affectif. Car à travers les mots simples et concrets de la longue lettre, il est Simenon lui-même sur le plateau, qui cherche à découvrir qui était sa mère.

 

« C’est pour pénétrer la vérité de ton être et pour t’aimer que je t’observe, que je ramasse des bribes de souvenirs » implore le vieil homme. Tout est dit.

 

A partir d’un vieil album photos et de sa mémoire, il tente de reconstituer le puzzle de la pauvre existence de sa mère qui « subissait sa vie plutôt que la vivre ». Les souvenirs arrivent, en désordre. Peu à peu un portrait se dessine. Qui fut-elle, elle qui l’a porté en son sein ? Parti à 19 ans du foyer maternel (son père est mort à l’âge de 40 ans), se sentant mal aimé, il ne la connaît point. Il découvre peu à peu les étapes de sa vie, son orgueil, sa dureté envers ses enfants, mais sa bonté envers les démunis, comme elle, des petites gens. Mais la dernière phrase dite sur le lit de mort revient en contrepoint dans les récits : « Georges, pourquoi es-tu venu ? » Comment interpréter cela ? Et comment expliquer ce sourire qui plane encore sur ses lèvres ? Toutes sortes de situations, d’anecdotes et de paroles, de réactions, remontent à la surface, dont il tisse des déductions. Démêler l’illusoire du vrai, sur soi et l’autre, sachant que la mémoire déforme à plaisir les instants vécus jadis. C’est une minutieuse enquête que mène le vieil homme, mais la dernière, celle qui doit l’absoudre, peut-être, le ramener à son origine sûrement. La dernière carte à jouer. Et il parvient à une découverte finalement – à moins que ce soit un mirage ?

 Le comédien exhume ces pans de vie et les réflexions dans le monologue en ayant fait sien le texte – il ne lit pas, il les vit ; occupant l’espace scénique de manière à faire sentir l’incertitude. Avec calme et dignité il énonce les questionnements et les rêveries que sa voix porte en des accents pleins de chaleur, de tendresse résignée. Ses ruptures de tons

marquent, avec le naturel du discours intérieur, comme des vagues, la diversité des propos .Nous sommes très vite entrés nous-mêmes dans ce monologue intime mené avec retenue. Le rythme musical des paroles nous charme, tous les mouvements du cœur et de l’esprit apparaissent dans son regard pénétré et sa voix grave et profonde : mélancolie, attendrissement, autorité et animosité, incompréhensions… L’éclairage et l’atmosphère feutrés contribuent à l’intimité créée  par R. Benoit, que nous partageons du début à la fin avec lui. Notre intérêt pour les tourments de fin de vie de Simenon naît aussi bien de l’écriture  limpide, expressive ; le texte est savamment structuré en dépit et grâce à ce désordre que la mémoire produit lorsqu’on la sollicite pour exhumer des souvenirs. Notre attention et notre sensibilité sont constamment en éveil.

Mise en espace et jeu intelligents, pudiques, dégagent profondeur émotionnelle et vérité. C’est une belle leçon de vie. Et de théâtre.

 

 

Lettre à ma mère

Écrit par : Georges Simenon

De et par : Robert Benoît

Collaboration artistique : Nathalia Apekisheva

Lumière : Emmanuel Wetischek

A partir du 29 février du mardi au samedi à 18h30

Théâtre du Lucernaire

53 rue Notre-Dame des Champs  Paris 6ème

Stations : Notre-Dame des Champs
- Vavin – Saint Placide
ou Raspail

Réservations : 01 45 44 57 34

 www.lucernaire.fr

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.