Critique de Solveig Deschamps
Samuel Beckett écrit « La dernière bande » en 1959, il a 53 ans. Krapp, à chaque anniversaire écoute une bande qu’il a enregistrée bien des années auparavant, la commente et enregistre une autre bande. Cette fois c’est sans doute la dernière bande, constat de sa vie solitaire, désir d’imaginer qu’il a vécu, a été heureux, amoureux. Envie d’en finir ? Homme en fin de partie ? Bananes et verres de rouge, nourriture obsessionnelle qui le met à distance de son malheur, vieil homme seul soliloquant avec son magnétophone. Pour qui connaît et aime Beckett, les mots font mouche mais ce soir le texte nous semble daté, comme si la statue de Beckett l’avait figé irrémédiablement.
Le démon des didascalies
« Viens d’écouter ce pauvre crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j’aie jamais été con à ce point-là »
Il faut rappeler que les pièces de théâtre de Beckett sont truffées de didascalies (notes sur le jeu, les respirations, les gestes, les déplacements à exécuter), celles-ci font partie intégrante de son écriture et Beckett exigeait qu’elles soient respectées, sinon il refusait que ses pièces soient jouées. Aujourd’hui encore « Les éditions de minuit » restent intraitables sur la question. Il faut respecter la volonté de Beckett. Certaines pièces comme « Oh ! Les Beaux jours » semblent pouvoir survivre à cette obligation (au risque que le mamelon dans lequel s’enfonce Willie devienne très poussiéreux) mais pour « la dernière bande », nous aurions envie que les fenêtres s’ouvrent pour faire entrer un peu d’air frais. Se souvenir de « Krapp’s last tape », la version de Robert Wilson en 2011 au théâtre de l’Athénée, libre de toute contrainte, n’est pas Wilson qui veut.
Marionnette beckettienne
Sur le plateau éclairé par Joël Hourbeigt (lumière-pénombre) « Lumière louée pour l’obscurité qu’elle crée » a écrit Beckett pour sa mise en scène de la dernière bande, une table et une chaise noires, le revox d’où sort la voix de Krapp enregistrée 30 ans auparavant, voix de Serge Merlin qui semble trop proche de celle d’aujourd’hui, elle aurait pu être rajeunie, à moins que ce soit un parti-pris de mise en scène. Lui, Serge Merlin, manteau noir, marionnette au service des mots de Beckett, un peu trop excessif sans doute mais il y a de la maitrise et de la folie dans cet acteur là, traine depuis tellement longtemps ses savates dans les théâtres qu’il sait y faire. Impression étrange que ce soir lui et Beckett sont figés dans l’image que l’on a d’eux.
Alain Françon (ancien directeur du Théâtre de la Colline) signe une mise en scène des plus respectueuses, avait il le choix ?
La dernière bande
De Samuel Beckett
Avec Serge Merlin
Mise en scène : Alain Françon
Assisté : Nicolas Doutey
Scénographie et costumes : Jacques Gabel
Lumières : Joël Hourbeigt
Son : Daniel Deshays
À Partir du 2 octobre pour 60 représentations – Du mardi au samedi à 20H – Dimanche 16h
Théâtre de l’œuvre
55, rue de Clichy 75009 Paris
Métro : Place de Clichy – Liège
Réservations : 001 44 53 88
http://www.theatredeloeuvre.fr/