Critique d’Anne-Marie Watelet
La faim (1890), premier roman du norvégien Knut Hamsun qui le propulsa hors de ses frontières alors que tout dans sa jeunesse vagabonde et misérable l’écarta de l’écriture. Cependant, son acharnement ainsi que le caractère subversif et l’expression d’une violente beauté de ses écrits, lui valent le Prix Nobel de littérature en 1920.
« Une plongée dans l’expérience de la lecture de ce texte (…) dans ce qui nous avait fasciné » explique F. Azoulay. « Une forme hybride entre lecture et incarnation » dit X. Gallais Ils ont écrit collectivement une adaptation, avec l’intention, non pas d’aboutir à une « action dramaturgique » comme le fit J. L. Barrault en 1939 – représentation qui fit date – mais celle de faire entendre le texte en le réduisant à sa forme la plus simple et épurée.
C’est l’histoire d’une errance forcée. Le narrateur et héros, journaliste d’une quarantaine d’années, ne peut plus payer son loyer. Où va t-il ? Droit devant lui, jusqu’à une ultime étape, Christiana (l’ancienne Oslo). Rencontres, rêves, impressions obsédantes… Ce fut St-Pétersbourg pour Dostoïvski ou Prague pour KafKa. Cette figure du vagabond amoureux de la liberté et de la nature hante les œuvres de Hamsun. Ici, marcher et ne pas manger, crever de faim, jusqu’au délire, presque la mort. Il veut s’éprouver jusqu’au bout, se chercher à travers le monde et contre lui. Ce tableau de la déchéance, de la misère, pour autant qu’il soit autobiographique, n’est pas un réquisitoire réaliste contre la société, à la façon d’un Zola, mais plutôt un road-movie psychologique. Et voici ce qu’en dit l’auteur : « Mes personnages sont tous exempts de ce qu’on appelle abusivement le caractère. Ils manifestent tous les divisions, les déchirements de leur nature (…) dans leur essence illuminée par la réalité ».
Xavier Gallais, dans sa noble intention de déclencher d’abord progressivement en lui – et chez le spectateur – la vie et les images du récit, entame une lecture rigide, les yeux rivés sur les pages, et nous ne parvenons pas à y entrer. A moins d’être avertis, nous nous demandons le sens de ce parti pris, et si c’en est un ! Puis, de liseur, il devient peu à peu acteur impliqué regardant son public; pénétré à fond, nourri des impressions et des paysages évoqués par l’auteur (dont il s’était imprégné physiquement sur les lieux mêmes de son errance). Le réel: la lune glaciale, le ciel en clair-obscur, les lumières de la ville, il nous les fait partager avec les mots incisifs de cette écriture poétique, en même temps que la « joyeuse démence » du personnage-narrateur. Imprécations, délires, hallucinations… Tout se déploie, avec une force et un ton justes, du corps et de la voix du comédien, lyrique ou dans un souffle ténu qui nous remue. Le corps tout en tension épouse avec aisance les soubresauts conscients ou non du personnage, le regard dévasté. On y croit, on est remué, d’autant qu’il contrôle avec intelligence son énergie, et son expressivité toute en retenue laisse voir un immense talent !
La scénographie est toute en nuance pour ce qui est des éclairages : le plateau baigne dans une lumière pâle et grise; lorsque X. Gallais/le personnage/K. Hamsun, le corps crispé s’affaissant lentement, implore les ténèbres, sa bouche béante s’emplit de noir. Affaissé sur le sol, immobile soudain, le visage de côté, j’ai vu le mendiant du peintre Murillo
superbe image de la misère magnifiée par l’art pictural – ici par l’incarnation théâtrale.
Dans cette adaptation et cette mise en scène on perçoit une admirable collaboration dans l’unité des enjeux; rien n’est laissé au hasard. Le jeu du comédien est bouleversant de vérité ; il ne verse pas dans le pathétique sordide. Nul excès. Dommage que le début désoriente certains, dont moi ! Mais en voilà certains avertis. Qu’ils n’hésitent pas à aller voir et écouter ce monologue magnifique et poignant !
À lire également la critique de Dashiell Donello
Faim de Knut Hamsun
Lecture dirigée par Arthur Nauziciel
Adaptation théâtrale : Florient Azoulay et Xavier Gallais
Traduction : Régis Boyer et de georges Sautreau
Collaboration artistique : Florient Azoulay
Scénographie : Giulio Lichtner
Chorégraphie : Damien Jalet
Bande son : Xavier Jacquot
Costume : Gaspard Yurkiévitch
Avec Xavier Gallais
Jusqu’au 11 mars 2012
Le samedi 19h – le dimanche 18h
Théâtre de La Madeleine
19 rue de Surène – Paris 8ème
Métro Madeleine – réservation au 01 42 65 07 09