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Critique• « Face de cuillère » de Lee Hall au Théâtre de l’Epée de Bois

Juin 21, 2012 | Aucun commentaire sur Critique• « Face de cuillère » de Lee Hall au Théâtre de l’Epée de Bois

Critique de Bruno Deslot

Face de cuillère : grande prêtresse d’une beauté innocente

Une enfant pas comme les autres, faite de travers, autiste et atteinte d’un cancer, rayonne entre les coupes sombres de sa vie et la passion qu’elle cultive pour la Callas. Face de cuillère, texte de Lee Hall traduit par Fabrice Melquiot et mis en scène par Alain Batis met en relief toute la sensibilité d’un sujet grave traité avec attachement, finesse et précision.

Sur un sol de papier blanc, Laetitia Poulalion, fragile, innocente et passionnée porte les stigmates d’une enfance trop tôt dérobée à la vie et pourtant elle ne cesse de la porter en gloire. Grande prêtresse au royaume des morts, elle est confrontée à celui des vivants toujours plus anxieux à son sujet à mesure que la maladie gagne du terrain. Autiste, elle lit les nombres, ce qui surprend son père armé d’une calculatrice pour vérifier ces calculs improbables auxquels se livre la jeune fille. Atteinte d’un cancer, elle doit subir des traitements contraignants, dont la promesse de guérison est totalement dérisoire. Un débit syncopé, des expressions volontairement empruntées à l’enfance, la comédienne s’est approprié son personnage avec une rare intelligence et une justesse toute exceptionnelle. Toujours en suspend, sa vie évolue sur un fil tendu par les promesses et  témoignages d’amour de son entourage proche : ses parents, son médecin, Madame Patate…en somme, toutes ces silhouettes qu’elle déchire dans le papier qu’elle foule d’un pas déterminé, pour les mettre en scène dans un décor immaculé de blanc.

À la fois onirique et poétique, le texte de Lee Hall aborde la différence, une fois de plus, avec dérision et souffrance, le tout mené avec subtilité et tendresse. Face de cuillère rapporte, à sa manière, ce à quoi elle est confrontée en essayant de raccrocher les informations qu’elle glane par-ci par-là. Des parents qui se séparent car le père fréquente une « pouf ». Un médecin qui lui explique que les enfants de la shoah ont beaucoup souffert lorsque Face de cuillère doit affronter les soins en chimio. Et Madame Patate, simple femme de ménage, la larme à l’œil lorsque la petite fille lui offre une belle carte pour s’excuser d’avoir déféqué.

Étincelante, l’enfant ne se plaint jamais et surmonte les conflits sous-jacents qui s’ourdissent bien malgré elle en raison de sa maladie. Heureusement, il y a la philosophie pour tenter de tout rationaliser, la vodka pour oublier et les grands airs de la Callas qui rythment les envolées lyriques de la jeune fille. Elle se passionne pour l’opéra, pour ces chanteuses qui se donnent tant de mal pour mourir, tout en se construisant son propre mausolée.

La mise en scène d’Alain Batis relève le défi de mettre en abîme la mort selon une démarche définitivement poétique et théâtrale. Il crée un monde irréel, fait d’ombres et de lumières, porté par des grands airs d’opéra rythmant la proposition avec toujours plus de sensibilité. L’ensemble de la scénographie procède par fulgurance à l’image du texte et installe Laetitia Poulalion dans un univers transcendant le quotidien vide de la jeune adolescente condamnée mais si rayonnante.

Face de cuillère
De Lee Hall
Traduction  Fabrice Melquiot
Mise en scène  Alain Batis
Avec Laetitia Poulalion
Scénographie   Sandrine Lamblin
Lumières   Jean-Louis Martineau
Costumes  Jean-Bernard Scotto

Du 20 au 24 juin à 19h

Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre – 75012 Paris
Métro Ligne 1  Château de Vincennes, puis Bus 112, arrêt Cartoucherie.
Réservations 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com

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