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Conjurer la peur, conception de Gaëlle Bourges à La Ménagerie de Verre / Festival Etrange Cargo

Mar 25, 2017 | Commentaires fermés sur Conjurer la peur, conception de Gaëlle Bourges à La Ménagerie de Verre / Festival Etrange Cargo

ƒƒ article de Denis Sanglard

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© Bernard Tran

Au commencement, la fresque du palais communal siennois  « Du bon et du mauvais gouvernement », fresque de 1338 peinte par Ambrogio Lorenzetti. Gaëlle Bourges en premier lieu nous en fait la visite commentée, visite savante et drôle avec pour appui le livre de l’historien Patrick Boucheron*. Il Souligne avec malice que le mauvais gouvernement n’est jamais cité, pour ainsi même dire occulté, évité jusque dans les produits dérivés destinés au public. Dans l’espace vide du plateau de la Ménagerie de Verre, avec pour seule scénographie deux estrades et quelques bancs, les danseurs prennent la pose, tableaux vivants. Ils endossent les personnages de cette immense fresque, la recomposent avec beaucoup d’humour, rouleau de sopalin pour cartel et tee-shirt coloré avec en lettres dorées les vertus ou les vices que chacun d’entre eux représentent, vivantes métaphores. Gaëlle Bourges n’omet aucun détails, pas même la configuration du palais communal de Sienne. Cette fresque, souligne-t-elle, est un vaste programme politique, celui des 9 sages de Sienne, élus tous les deux mois, pour échapper à la tyrannie des seigneuries. Et la tyrannie, c’est inscrit et peint, c’est la guerre. Tout cela nous l’avons devant les yeux, dûment explicité par notre guide. Alors on se dit certes, mais où veut en venir Gaëlle Bourges ? C’est en fait bien plus malin et intelligent. Chaque détail compte pour qui écoute bien. Rien d’anodin. Pas même l’altercation avec une guide française qui très vite prendra tout son sens. Et deux figures bientôt se détachent Timor, la peur, côté mauvais gouvernement, et Sécuritas, la sécurité, côté bon gouvernement. Et une figure centrale, une ronde de 9 danseurs travestis pour conjurer la tristesse, considérée comme un vice au moyen-âge. Alors Gaëlle Bourges reprend tout, enclot de bâche bleue l’espace, et à l’aune de cette fresque et de son discours livre son journal de création, tressée de réflexions intimes. Cette création est bornée de deux évènements tragiques, les attentats de 2015 et celui du 14 juillet 2016 à Nice et dont dont elle fut le témoin incrédule. Et chaque détail de cette fresque prend soudain une profondeur insoupçonnée. Des correspondances éclatent d’évidences troublantes. Gaëlle Bourges observe, note, souligne, s’interroge. Au regard des évènements actuels, au regard de notre démocratie vacillante et menacée de l’intérieur par de nouveaux seigneurs que nous dit Ambrogio Lorenzetti ? Gaëlle Bourges opère alors une relecture radicale avec pour musique lancinante, écoutée en boucle, ce fut une étrange coïncidence, mais en création il n’y a jamais vraiment de hasard, cette chanson du groupe Radiohead, « Daydreaming », où ce qui est chanté, « We happy to serve », (nous somme heureux de servir), rejoint étrangement La Boétie et son ouvrage « De la servitude volontaire ». Oui, se pose la question Gaëlle Bourges, pourquoi acceptons de nous d’être esclave et pour qui ? Quelle conséquence ? Les danseurs reprennent la pose mais à la légèreté, à l’humour, s’est substituée une certaine pesanteur, quelque chose de poisseux et de douloureux, de grave. Cet art du vivre ensemble que prône la fresque, pour éloigner la guerre et conjurer la peur, n’est ce encore qu’utopie ? Les corps portent cette inquiétude ancienne et toujours contemporaine et la ronde des 9, figure centrale, précédemment exécutée avec légèreté et sans peur, sanza paura, acquiert soudain un poids tragique et paradoxal. Gaëlle Bourges interrogeant la fonction de la langue dans la description de l’image, image que la langue produit de même, atteint quelque chose de fondamental. La langue ne produit plus seulement un sens pictural mais elle provoque aussi le mouvement. L’engagement physique des danseurs dans l’illustrations de cette fresque les reliant en somme à la représentation historique de ce qui est peint provoque une lecture, voire une relecture, de l’évènement que le corps exprime à son tour. Cette ridda (ronde non fermée), sarabande bientôt éperdue, en est l’expression, la démonstration vibrante et têtue. Gaëlle Bourges et ses danseurs n’ont le choix, devant ce qui menace, le mauvais gouvernement, et pour seule solution, répétée comme un mantra, que de danser. « Dansons pour conjurer la peur ». Le corps se substitue à la fresque, en porte le poids métaphorique, son essence, résumée par cette ronde. Le corps chez Gaëlle Bourges devient un espace critique et politique qui puise ainsi sa source dans l’histoire de l’art actualisée et prolongée. Pour conclure et pour mémoire, le gouvernement des 9 sages de Sienne fut balayé en 1355 par une révolte populaire au profit d’une tyrannie…

* Conjurer la peur, Sienne 1338-Essai sur la force politique des images. Seuil, 2013

Conjurer la peur
Conception de Gaëlle Bourges
avec Mathias Bardoula, Gaëlle Bourges, Agnes Butet, Marianne Chargeois, Camille Gerbeau, Guillaume Marie, Phlaurian Pettier, Alice Roland et Marco Villari
Création musique Stéphane Monteiro alias XTRONIK et Erwan Keravec
Création Lumière Abigail Fowler
régie son, régie générale Stéphane Monteiro

21 et 22 mars 2016 à 20h30

Festival Etrange Cargo

Ménagerie de Verre
12-14 rue Léchevin – 75011 Paris
M° Parmentier (ligne 3), Saint Ambroise (ligne 9)
Réservation 01 43 38 33 44
www.menagerie-de-verre.org

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