Critiques // « Combat de nègre et de chiens » de Koltès au Théâtre de la Colline

« Combat de nègre et de chiens » de Koltès au Théâtre de la Colline

Mai 30, 2010 | Aucun commentaire sur « Combat de nègre et de chiens » de Koltès au Théâtre de la Colline

Critique de Dashiell Donello

Combat d’ombres et de sang

Dans un pays d’Afrique de l’Ouest, le chantier d’une grande entreprise française, en passe d’être fermé. Il ne reste plus que Horn, chef chantier au bord de la retraite, et Cal, un ingénieur. L’arrivée simultanée d’une jeune femme que Horn a fait venir de Paris pour l’épouser et d’un Noir mystérieusement entré dans la cité des blancs pour réclamer le corps de son frère, mort la veille sur le chantier, va catalyser la violence latente de la situation.

Le rideau se lève et divulgue une scénographie (Olaf Altmann) qui oscille entre un univers carcéral (Le public est-il compagnon de cellule ?) et l’entrée aux enfers. Un quadrilatère, avec à ces côtés deux rampes à garde-fous inclinés, définit un espace supposé vide qui descend dans une fosse où gît ce qui sépare le blanc du noir, et la lumière de l’ombre. Sur une élévation, dix silhouettes attendent dans leur crépuscule silencieux. Tout semble retarder. Silence. Attente. Le choeur d’ombre pèse lourdement sur le temps qui passe. Déni de commencement ? Non, un lieu du monde où la métaphore de la vie se fait entendre après un intervalle muet. Alors est-ce vraiment un espace vide comme le prétend le metteur en scène Michael Thalheimer ?

© Élisabeth Carecchio

« Pour un metteur en scène, mieux vaut peindre avec trois couleurs et faire un tableau, qu’en utiliser trois cents et ne plus rien voir », nous dit-il. Mais alors pourquoi du superflu (Le chœur, l’opéra sur-titré) dans une pièce  achevée ?

« Si je devais faire rejouer les personnages, il faudrait que, par leur jeu, il se passe quelque chose. Il faut trouver les actions dans un rapport plus dialectique avec le langage. Le Noir qui vient chercher le corps de son frère ne m’est apparu qu’à la presque fin du travail. Je voulais que le Noir entre dans l’endroit, j’étais attaché à la notion d’entêtement, et d’un langage clair, d’une manière directe de voir les choses. »

Les pivots de la structure dramatique ne sont-ils pas clairement définis par Koltès ? N’est-il pas suffisamment concret ? Ne va-t-il pas à l’essentiel ? N’agit-il pas par la réclamation ? Le conflit par la situation : La demande du corps ? Alboury demande des comptes. Il pèse ses mots. Sa pensée est dualiste. Le fossé est aussi grand entre Cal et Horn qu’entre Alboury et Horn.

La parole. La langue. On ne parle pas leur langue on est blanc. C’est politique, les nègres sont en luttent contre les chiens blancs. Léone porte le poids de la damnation celle des noirs lui semble plus enviable, elle se teint de leur couleur. Dans cette tour de Babel inversée elle comprend Alboury au-delà des mots. L’espace-temps du théâtre ne peut pas être le même que celui de la vie. Un dialogue chez Koltès est toujours un raisonnement déviée : chacun répond à côté, et ainsi le texte instruit le non-dit. Il condense la pensée.

© Élisabeth Carecchio

Oui, ce n’est pas une pièce sur le néo-colonialisme. Koltès disait que son propos n’était pas d’y parler de l’Afrique, mais bien de ce petit monde blanc qui vit retranché derrière les palissades et les barbelés.

Faut-il aussi se poser la question : pourquoi des spectateurs quittent le théâtre ? Sont-ils stupides ?

« Etre au service de l’auteur me paraît une notion difficile », nous dit Michael Thalheimer. Avons-nous là une entame de réponse ? Jean-Louis Barrault disait : « serviteur, mais non valet ! » N’y a-t-il pas confusion dans les mots ? Les spectateurs sur le départ donnaient du sens aux « bruits » en dehors de la scène et cela, mêlé avec quelques lampes torches, donnait l’affranchissement des gardes éveillés. Ces partances mettaient en scène l’envers du décor. Cela est à méditer. On peut dire alors avec Michael Thalheimer : « Chaque metteur en scène fera de la même pièce un autre spectacle. »

Quand les comédiens sont au centre du théâtre.

Quel bonheur qu’une bonne distribution ! Le jeu des comédiens est puissant parfois même un peu trop. Des bribes du texte nous échappent par leurs cris. Mais leur implication est belle. Stéphane Hochart (Cal)  dont la maigreur sèche et belliqueuse nous montre l’outil dangereux que représente le mal blanc par sa parole souffreteuse et son corps imprégné de merde. Son être entier fini par incarné un étron où s’exhale la puanteur blanche. Charlie Nelson admirable de vérité en chef de chantier, gauche et imbibé de whisky, voit le bougainvillier (invisible) incarner l’ombre menaçante du dehors. Léone (Cécile Coustillac) est une blessure sensuelle visitée par la barbarie de la culpabilité. Le jeu du chœur bien que juste est le maillon faible dans l’intérieur « des blancs » et l’on retrouve mieux Alboury (Jean-Baptiste Anoumon) quand il est seul à s’introduire chez eux. Item pour l’opéra invité sur le théâtre qui confirme cette sensation parasitique de la situation. Koltès n’a pas écrit pour un chœur. Aurait-il aimé que l’on rajoute du spectacle et de la performance dans ce texte sublime ?

Combat de Nègre et de Chiens
De : Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Michael Thalheimer
Dramaturgie : Anne-Françoise Benhamou
Scénographie : Olaf Altmann
Costumes : Katrin Lea Tag
Musique : Bert Wrede
Assistante à la mise en scène : Sandrine Hutinet
Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Cécile Coustillac, Stefan Konarske, Charlie Nelson
Chœur : Alain Joël Abie, Bandiougou Baya, Kaba Baya, Thomas Durcudoy, Khalifa Gadenza, Franck Milla, Paul Angelin N’Gbandjui, Henri Nlend, Abdourahman Tamoura, Camille Tanoh

Du 26 mai au 25 juin 2010

Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris
www.colline.fr

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.