Critiques // « Cercles / Fictions » de Joël Pommerat aux Bouffes du Nord

« Cercles / Fictions » de Joël Pommerat aux Bouffes du Nord

Fév 03, 2010 | Aucun commentaire sur « Cercles / Fictions » de Joël Pommerat aux Bouffes du Nord

Critique de Denis Sanglard

Rébus

Etrange objet que cette création…Dans la salle des Bouffes du Nord, transformée en piste de cirque qu’encerclent les spectateurs, pendant deux heures et dix minutes, Joël Pommerat entrelace des micro-fictions, inventaire à la Prévert et sans raton-laveur. On y croise une domesticité à l’aube du vingtième siècle confrontée à la modernité de leurs employeurs, un chevalier en armure agonisant, un jeune cadre ambitieux passant un deal avec des clochardes puantes, un patron d’entreprise dynamique face à des chômeurs en fin de droit, le même patron négociant des organes avec des sans-papiers pour sauver son fils, un meneur de jeu étrange, quatre individus perdus en forêt, un représentant escroc d’une bible-universelle-du–bien-être, des militaires à Verdun…J’en oublie sans doute. Tout cela au son d’une canonnade, dans une lumière sépulcrale qui vous découpe l’espace au cordeau. C’est profus mais loin d’être confus. Les scènes se succèdent et se font échos de loin en loin. On rit et soudain nous sommes foudroyés par l’émotion. Il faut accepter de se perdre. C’est un rébus. Et pas de réponse au bout, pas de solution.

© Elisabeth Carecchio

Nous sommes dans la brume juste déchirée d’éclat blafard.

Est-ce cette disposition scénique, ce cercle, qui amène à tant de liberté ? L’abandon du dispositif frontal, nouveau pour Joël Pommerat, l’oblige à abandonner une théâtralité classique, à multiplier les points de vues, à inclure le spectateur dans la scénographie. Le jeu et la voix des acteurs sont presque détachés, feutrés, à peine si de temps à autre on perçoit un éclat de voix bien vite tempéré. L’impression que l’on nous chuchote une histoire au creux de l’oreille ou que nous tombions par effraction sur une scène qui ne nous était pas destinée, à laquelle on ne s’attendait pas ; renforcée en cela, par le travail de la lumière faisant surgir les personnages comme des fantômes parfois ou les plongeant dans une temporalité confuse. Apparitions, disparitions de personnages avant même la fin d’une réplique ou d’une scène et s’imprime en nous alors des impressions fugaces mais pugnaces de mystère et d’étrangeté. Et c’est justement ce procédé, qui fait de la vérité de ces situations revendiquées par Joël Pommerat, une fiction, et de nous des voyeurs et des voleurs de vie.

© Elisabeth Carecchio

Scènes de guerre

Mais que nous raconte Joël Pommerat ? Tout n’est pas clair c’est vrai, il y a des choses qui nous échappent sans doute, qu’importe. Chaque fiction est une parcelle d’un tout dont seul Joël Pommerat a la clef. Que nous dit il sinon que l’individu, lui comme nous, est la somme de situations, présentes ou passées. Qu’il y soit confronté directement ou totalement étranger. Mais que ce qui sous-tend cela c’est la guerre. Sociale, économique, politique, guerre de classe, guerre des sexes. L’homme est un loup pour l’homme et qu’il n’y a pas de désastre intime qui n’entraîne un désastre politique et réciproquement. Nous sommes le produit de préjugés de classes tenaces, qu’une situation exceptionnelle peut parfois bouleverser et remettre en question. Que celui qui domine peut un jour être dominé à son tour. Rien jamais n’est acquis. Le seul espace de liberté qu’il nous reste est l’imaginaire où un chevalier en armure peut magnifier un présent minable. Et le théâtre, ce lieu de mystère ou la vie se métamorphose en fable sans moralité. A chacun sa vérité.

Cercle/Fictions
Texte et mise en scène : Joël Pommerat
Avec : Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Gilbert Beugniot, Serge Larivière, Frédéric Laurent, Ruth Olaizola, Dominique Tack
Assistante à la mise en scène : Martine de Michèle
Scénographie : Eric Soyer
Lumière : Eric Soyer en collaboration avec Jean-Gabriel Valot
Costumes : Isabelle Deffin, assistante Claire Gilbert
Réalisation sonore : François Leymarie
Recherche musicales et compositions : Antonin et Grégoire Leymarie
Son : Grégoire Leymarie
Régie Plateau : Pierre-Yves Leborgne, Mathieu Mironnet
Lumière : Jean-Gabriel Valot, Jean-Pierre Michel
Accessoires : Alain Lebéon, Thomas Ramon, Patrick Smith
Décor : A travers champs-Tourcoing
Construction du gradin : Napo-HMMH
Direction technique : Emmanuel Abate

Du 26 janvier 2010 au 6 mars 2010

Théâtre des Bouffes du Nord
37 rue de la Chapelle, 75 010 Paris
www.bouffesdunord.com

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