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Critique • « Cendrillon », texte original de Joël Pommerat, première en France au Théâtre de l’Odéon

Nov 07, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Cendrillon », texte original de Joël Pommerat, première en France au Théâtre de l’Odéon

Critique de Bruno Deslot

« Ceci n’est pas un cendrier ! »

Après Pinocchio et Le Chaperon rouge, Joël Pommerat, artiste associé au Théâtre de l’Odéon et au Théâtre National de Bruxelles, propose une version bouleversante et inattendue de Cendrillon, la Très jeune fille en proie à son destin lorsque sa mère l’abandonne dans un dernier souffle !

© Cici Olsson

Plongée dans une semi-obscurité et placée en fond de scène, la mère de Cendrillon expire, tentant en vain de livrer à sa fille quelques mots de réconfort. Telle La mort de la Vierge par Caravage, autour de son corps inerte, règne un mystère, un secret qui perdura et mènera la Très jeune fille, Cendrillon, sur les chemins de l’infortune. A la fois proche et lointain du conte traditionnel de Perrault ou des frères Grimm, Joël Pommerat, situe l’enfant seule face à son destin avec pour seul bagage, quelques râles incompréhensibles exprimés par une mère désormais disparue. Une donnée énigmatique permettant à Pommerat, semble-t-il, de proposer une manière de déchiffrer le vrai moteur de l’histoire de cette Très jeune fille, comme il la nomme.
La pantoufle, la marâtre, les sœurs détestables, le roi, le prince, tous les ingrédients sont réunis pour raconter l’histoire de Cendrillon et pourtant dès le début de la pièce, la notion de deuil est présente et le verre vole vite en éclat ! Comment faire le deuil d’une mère dont la Très jeune fille se croit coupable ? En accumulant les tâches ménagères de la maison de la marâtre ? En dormant à la cave sur une paillasse placée à même le sol ? S’imposant les pires humiliations pour toujours mieux expier sa peine ? Certes, associé à la souffrance, le deuil est considéré comme un processus nécessaire à la délivrance, mais laquelle ? La Très jeune fille ne s’octroie que la liberté de penser à sa mère lorsque son énorme montre sonne ! Ataraxique ou dépressive, entre l’aspirateur et les oiseaux morts à ramasser, un cheminement intérieur se fait.

Savoir oublier pour mieux rêver !

Un décor en cube habillé de lumières d’une grande modernité, Eric Soyer a réalisé un travail de maître. Entre suggestion, fiction et réel, le travail de Pommerat prend tout son sens et s’inscrit dans une magie de l’immédiateté, celle d’un ouvrage dont on tourne les pages avec toujours plus d’émerveillement. Entre ombre et lumière, les mots sont lâchés avec une évidence propre à l’enfance et rythme une proposition d’une grande sensibilité. La maison de verre de la marâtre, que le beau-père n’épousera finalement jamais, est suggérée par un assemblage de nervures sombres projetées sur les murs formant un cube, accentuant la verticalité de l’édifice et lui donnant une dimension parfois inquiétante.

© Cici Olsson

Un papier peint psychédélique se déroule le soir où le roi organise la fête pour son fils, le prince. Derrière les grandes portes, on entend une musique très actuelle. Nous ne sommes pas à un bal de jeunes premières comme le pensaient la marâtre et ses crétines de filles !

L’ensemble du dispositif scénique repose sur un traitement des lumières qui relève d’un tableau de maître et il serait bien présomptueux d’évoquer tous les éléments de la composition au risque de l’amoindrir.

Les comédiens belges francophones sont confondants dans leur rôle qu’ils incarnent avec une touchante vérité. L’hystérique et castratrice marâtre, Catherine Mestoussis mène la danse en habit de bal. Sa voix rauque et nerveuse révèle une tension qui contraste avec le personnage du père, Alfredo Canavate, d’un calme olympien. Noémie Carcaud et Caroline Donnelly, interprètent, avec une justesse agaçante, deux gourdes scotchées à leur téléphone portable, passionnées par bien peu de choses et arrimées à un quotidien d’une étonnante banalité. Petite, fragile et touchante, Déborah Rouach, le cendrier, porte son fardeau avec une humilité et un talent époustouflants.
Tout au long de la pièce, elle incarne bien plus que la simple Cendrillon que tout le monde s’attend à voir, mais le deuil, celui qui nécessite le soutien d’autrui qu’elle trouvera en la personne de sa bonne fée, la déjantée Noémie Carcaud. Ainsi, en s’autorisant l’oubli, elle s’octroie le rêve et se tourne vers le prince (Caroline Donnelly) à qui elle ouvre les yeux sur la vie.
Joël Pommerat peut se féliciter d’avoir fait la joie des petits et des grands le soir de la première, samedi 5 novembre 2011 aux Ateliers Berthier, avec un spectacle qui relève de l’exception dans le paysage dramatique actuel. On ne peut qu’encourager vivement et simplement toute la France à découvrir ce chef-d’œuvre !

Cendrillon
D’après
: le mythe de Cendrillon
Texte original et mise en scène
: Joël Pommerat
Avec
: Alfredo Canavate, Noémie Carcaud, Marcella Carrara, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Deborah Rouach, Nicolas Nore, José Bardio
Scénographie et lumières
: Eric Soyer
Costumes
: Isabelle Deffin
Son
: François Leymarie
Musique originale
: Antonin Leymarie
Vidéo
: Renaud Rubiano

Du 5 novembre au 25 décembre 2011
Horaires spéciaux à consulter sur le site du théâtre

Odéon – Théâtre de l’Europe
Ateliers Berthier

1 rue André Suarès / 14 boulevard Berthier, Paris 17e
Métro Porte de Clichy – Réservations 01 44 85 40 19
www.theatre-odeon.fr

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