À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Cendrillon, de Jules Massenet, mise en scène de Mariame Clément, Opéra Bastille

Cendrillon, de Jules Massenet, mise en scène de Mariame Clément, Opéra Bastille

Mar 28, 2022 | Commentaires fermés sur Cendrillon, de Jules Massenet, mise en scène de Mariame Clément, Opéra Bastille

 

 © Monika Rittershaus / OnP

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

C’est en l’espace d’un mois, le deuxième opéra de Massenet qui est présenté à l’Opéra Bastille. Après la reprise de Manon chroniquée sur ce blog, voici Cendrillon.

Le conte de Perrault (de 1697) a beaucoup inspiré les compositeurs et les metteurs en scène. La Cenerentola de Rossini créée en 1817 est assurément l’adaptation opératique la plus connue du grand public et au répertoire de l’Opéra de Paris depuis 1977, alors que la Cendrillon de Massenet, créée en 1899 ne fait son entrée au répertoire de la grande maison parisienne que cette saison. Sa mise en scène a été confiée à Mariame Clément qui revient à l’Opéra national de Paris près d’une décennie après son Hänsel et Gretel d’Humperdinck (à Garnier) et s’investit pour la troisième fois dans un opéra du compositeur français.

Cette dernière a saisi toute la dimension de l’adaptation par Massenet du conte de fées en quatre actes et six tableaux, à la fois dédramatisante, humoristique, collant à l’esprit du texte de Perrault, à la différence de Rossini qui avait fait totalement disparaître tous les éléments de féérie (en premier lieu la fée elle-même) et en avait fait une œuvre plus cynique et grinçante. Massenet au contraire donne toute son importance au merveilleux, notamment en accordant un rôle de premier plan à la fée et aux effets caractéristiques des fééries des opéras comiques.

Mariame Clément respecte cette dimension tout en se l’appropriant en choisissant de placer l’œuvre à l’époque de sa création, et d’opérer ainsi un clin d’œil astucieux aux Expositions universelles de Paris de 1889 et 1900 et à l’apparition de la « Fée Électricité » à laquelle Dufy a rendu hommage par une décoration monumentale qui orne une salle du Musée d’Art Moderne de Paris depuis 1964.

Apparaît ainsi au premier et dernier Acte une imposante machine, qui ressemble un peu à une locomotive à vapeur d’un film de Keaton, mais va très vite s’avérer être un engin magique qui opère des transformations sur commande, et ce aussi bien de la marâtre que de la marraine, mère de substitution comme on le sait pour Cendrillon, même si dans cette adaptation de Massenet, sa belle-mère est bien moins cruelle envers elle (ou autant avec elle qu’avec quiconque), et n’est pas du tout maltraitée par ses sœurs avec lesquelles elle entretient une certaine complicité. En revanche, l’ambiguïté du père est bien soulignée, fort en paroles, mais peu en actes.

Les sœurs sont ainsi transformées en princesses rose bonbon aux blondes anglaises après leur passage dans la machine, clones de toutes les autres jeunes filles à marier qui se retrouvent dans la salle du bal du Roi. Lucette, alias Cendrillon, ne fera pas exception. Après son passage dans la même machine, cette fois à la demande de la fée resurgit avec une coiffure et une robe (affublée de paillettes) identiques. L’ère industrielle des princesses en somme. L’idée d’uniformisation, de diktat de la mode, de l’impératif des mêmes canons à respecter dans les concours de beauté présentant des jeunes filles peu ou prou semblables, produits des projections ou fantasmes de leurs mères soucieuses autant de les caser que de voir rejaillir sur elles l’ascension sociale espérée.

La scène du bal se déroule dans un espace lui-aussi marqué par son siècle : une immense verrière (sans les vitres), à la structure métallique caractéristique du Grand Palais en construction lui-aussi pendant que l’opéra était en train d’être composé et inauguré l’année suivant sa création.

La double scène qui se déroule à la fois sous les yeux des spectateurs et des participants au bal, donne toute la saveur de cet opéra, faisant triompher l’amour vrai : deux êtres qui se sentent également étrangers à leurs mondes, se trouvent et partagent instantanément aussi bien l’amour Philia qu’Eros et Agapé. C’est défaite de ses atours (par le Prince lui-même qui la débarrasse de sa robe contre sa chemise et substitue ses Converse aux pantoufles de vair), de ses artifices et dans ses imperfections que Cendrillon attire et séduit le Prince, c’est dans sa simplicité et sa spontanéité que le Prince séduit Cendrillon.

Le passage à l’Acte IV est également significatif de la persévérance de la metteuse en scène à se placer dans un changement d’époque et de confirmation de l’installation de l’ère industrielle, qui fait aussi peut-être écho au changement d’époque sur la scène lyrique tel que vécu par Massenet, un temps déstabilisé dans cette période où sa carrière était au sommet. Le décor de la machine de l’Acte I, qui revient à l’Acte III, est surélevé et laisse place à celui de la forêt, laquelle dans la mise en scène de Mariame Clément se compose non d’arbres mais de grands silos (ou chauffe-eaux) rouillés et plein de mousse. La forme de déshumanisation qu’on pourrait en déduire est démentie par la force invariable et indestructible de l’amour. Le Prince et Cendrillon font abstraction de leur environnement, se meuvent dans ce spectacle de désolation, comme ils le feraient autour d’arbres séculaires et verdoyants. Leur amour symbolisé par un cœur-organe géant palpitant, un peu kitsch, ne comporte pas de message caché, il est uniquement le point d’orgue d’un happy end totalement assumé par Massenet et traduit aussi simplement que possible dans le livret de Cain : « La pièce est terminée. On a fait de son mieux. Pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ».

La distribution de cette Cendrillon 2022 à l’Opéra Bastille donne toute satisfaction à la fois individuellement et collectivement. Il rare de sentir une telle harmonie, des chœurs aux solistes en passant par l’orchestre. Ce dernier dirigé par Carlo Rizzi qui revient après six années d’absence, produit un travail à la fois propre et chaleureux. Les chœurs que l’on a tellement plaisir à voir démasqués (à quelques exceptions près) sont à l’unisson. Du côté des solistes, la soprane irlandaise Tara Arraught dans son second rôle de la saison à l’Opéra de Paris, enchaîne avec une grande classe toutes les dimensions de sa Lucette/Cendrillon, avec autant de douceur que de puissance vocale. Les vocalises de la fée à la fois précises et pétillantes expliquent non sans mal les applaudissements que Kathleen Kim a recueilli le soir de première. La mezzo britannique Anna Stephany en Prince charmant est convaincante, ce qui ne relève pas de l’évidence, tant le fait de chanter un rôle masculin (ce qui était voulu par Massenet) peut dérouter tant l’artiste que les spectateurs. Tout en retenue au départ, elle surprend dans les deux derniers Actes par sa présence et la force tranquille de sa voix qui se projette au-delà de la fosse sans effort. Daniela Barcellona campe une marâtre imposante, y compris dans son occupation de l’espace, telle qu’on peut idéalement la souhaiter. Son mari Pandolfe est plus discret tout comme son interprète baryton Lionel Lhote, davantage présent vocalement en fin d’opéra. La mezzo Marion Lebègue et la soprane Charlotte Bonnet, sont deux sœurs enthousiasmantes dans leur jeu et leurs allégresse vocale bien maîtrisée.

Il fait peu de doute que cette première production de la Cendrillon de Massenet à l’Opéra de Paris, reviendra lors de prochaines saisons dans cette production aux décors imposants de Mariame Clément.

 

© Monika Rittershaus / OnP

 

Cendrillon, de Jules Massenet

Livret de Henri Cain

Direction musicale : Carlo Rizzi

Mise en scène : Mariame Clément

Chorégraphie : Mathieu Guilhaumon

Costumes et décors : Julia Hansen

Lumière : Ulrik Gad

 

Avec :

L’orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris (cheffe des chœur : Ching-Lien Wu)

 

Cendrillon : Tara Erraught

Madame de la Haltière : Daniela Barcellona

Le Prince charmant : Anna Stephany

La fée : Kathleen Kim

Noémie : Charlotte Bonnet

Dorothée : Marion Lebègue

Pandolfe : Lionel Lhote

Le roi : Philippe Rouillon

Le Doyen de la faculté : Cyrille Lovighi

Le Surintendant des plaisirs : Olivier Ayault

Le Premier Ministre : Vadim Artamonov

Six Esprits : Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

 

 

 

Durée 2 h 40 (et un entracte)

A 19 h 30 les 29 mars, 1, 4, 7, 10, 13, 16, 19, 22, 25, 28 avril 2022

Diffusion sur France musique le 7 mai 2022 à 20 h

 

Opéra national de Paris – Opéra Bastille

Place de la Bastille, 75012 Paris

www.operadeparis.fr

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed