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Manon, de Massenet, mis en scène par Vincent Huguet, Opéra Bastille

Fév 15, 2022 | Commentaires fermés sur Manon, de Massenet, mis en scène par Vincent Huguet, Opéra Bastille

 

© Emilie Brouchon / OnP

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

On l’a attendue cette reprise de Manon à l’Opéra de Paris ! Elle a connu tant de contretemps depuis deux ans. D’abord, la vague Covid de 2020 avait presque immédiatement interrompu les représentations (au bout de deux soirées). Puis, pour sa reprogrammation dans la présente saison, le ténor Joshua Guerrero a dû renoncer à sa prise de rôle du chevalier des Grieux pour des raisons de santé. Il a été remplacé par trois ténors de talent (Atalla Ayan, Roberto Alagna, Benjamin Bernheim), qui n’ont toutefois pu respecter la répartition initiale de leurs prestations car la Covid a frappé à nouveau si fort qu’il a fallu comme pour Les Noces de Figaro reporter la première. Ce n’est donc pas Roberto Alagna que nous avons finalement entendu comme prévu mais Atalla Ayan, dont la prestation excellente fait presque oublier la déception de ne pas avoir pu retrouver ce ténor.

Vincent Huguet propose une mise en scène équivalente à celle de 2020 dans les mêmes grandioses décors d’Aurélie Maestre et costumes chatoyants (voire trop dans la scène du Cours-la Reine) de Clémence Pernoud, transposant l’action qui se situe normalement sous la régence du duc d’Orléans dans les Années folles, avec faste, que ce soit les immenses façades Art déco de la cour de l’hôtel d’Amiens, la chambre des amants ou dans le plateau nu avec deux immenses tableaux de Delacroix dans le séminaire de Saint Sulpice. Cette idée est loin d’être choquante car elle résonne avec l’appétit de Manon pour tous les plaisirs de la vie, la frivolité à l’excès, la liberté d’aimer avec passion tous ceux et celles qu’elle trouve aimables et qui l’aiment, mais aussi son attachement à tout ce qui brille et la fait briller et qui lui brûlera les ailes. Sur ce dernier point, la fin de Manon varie. Dans le roman de l’abbé Prévost (intitulé l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut et paru en 1731) sur lequel Massenet et ses librettistes se sont appuyés (et qui a inspiré également à Puccini une décennie plus tard son Manon Lescaut), l’action s’achève en Louisiane où Manon est condamnée à la déportation comme prostituée. Dans l’opéra de Massenet, Manon meurt dans les bras de des Grieux sur une route l’emmenant sous escorte vers le Havre. Vincent Huguet en 2020, avait choisi de la faire fusiller devant son amant, en 2022 elle expire quasiment dans les bras de celui qui l’aime d’un amour inconditionnel avant d’être emmenée par des soldats, permettant ainsi de ne pas montrer sa fin tragique sur le plateau, dans un esprit plus conforme au genre opératique dans lequel s’inscrit Massenet.

Cette fin quoi qu’il en soit dramatique ne doit en effet pas faire oublier qu’il s’agit d’un opéra-comique, qui comporte majoritairement de la légèreté, des airs joyeux, qui s’accordent bien avec l’ambiance des années 1920 et 1930 choisies pour cette production. Les carrés courts ondulés et les robes permettant de danser le charleston des chanteuses et actrices de l’époque, telles Mistinguett, sont autant de références pour la Manon de Vincent Huguet, qui rêve à ces femmes éprises de volupté et liberté, et dont le double ou le modèle prend l’apparence muette de Joséphine Baker. Autant dire franchement que l’on n’a ni compris l’insistance avec laquelle cette figure revient, ni sa prestation, notamment à l’occasion d’un intermède dansé devant le rideau de scène, qui a arraché un tonitruant « lamentable » à un spectateur impoli mais fort mécontent en fin de la première semaine de représentations.

Il s’agit de la seule véritable maladresse de cette production pour le reste assez consensuelle, qui séduit aussi bien s’agissant de sa distribution, des premiers aux seconds rôles, en passant par les chœurs (toujours masqués, ce qui nuit sommes toutes à la clarté dans certains airs) et le travail de la fosse sous la baguette enjouée de James Gaffigan qui fait ses débuts à Paris. La soprane américaine Ailyn Pérez dont l’accent ne gêne nullement la compréhension de son texte, offre une belle présence vocale et scénique du premier au dernier Acte. Les duos avec le ténor Atalla Ayan fonctionnent bien, même s’ils n’atteignent pas l’intensité et la sensualité du duo Netrebko-Alagna dans la production d’Andrei Serban. Andrzej Filończyk incarne un Lescaut puissant et convaincant, tandis que Jean Teitgen en comte des Grieux s’impose posément.

Cet opéra en cinq actes, connut un triomphe à sa création en 1884 à l’Opéra-Comique à Paris. Sa trame moraliste est sans doute en partie à l’origine de son succès et a ajouté Manon au Panthéon des femmes martyrs à l’opéra, comme avant elle Violetta dans la Traviata, deux femmes sacrifiées par l’hypocrisie de la société. Sans révolutionner la lecture sociale que l’on peut faire de cette œuvre, ni tenter d’en faire la critique, ce que la transposition dans cette période si propice des années 1920-1930 eut permis avec profit, la version de Vincent Huguet offre un beau spectacle qui n’est pas à bouder.

 

© Emilie Brouchon / OnP

 

Manon, musique de Jules Massenet

Livret de Henri Meilhac, Philippe Gille

Mise en scène : Vincent Huguet

Direction musicale : James Gaffigan

Décors : Aurélie Maestre

Costumes : Clémence Pernoud

Lumières : Bertrand Couderc

Chorégraphie : Jean-François Kessler

Dramaturgie : Louis Geissler

Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano

 

Avec :

Ailyn Pérez (Manon), Atalla Ayan (le Chevalier des Grieux), Andrzej Filończyk (Lescaut), Jean Teitgen (le comte des Grieux), Rodolphe Briand (Guillot de Morfontaine), Marc Labonnette (De Brétigny), Andrea Cueva Molnar (Poussette), Ilanah Lobel-Torres (Javotte), Jeanne Ireland (Rosette), Philippe Rouillon (l’hôtelier), Laurent Laberdesque, Julien Joguet (deux gardes), Danielle Gabou (Joséphine)

 

 

Durée 3 h 50 (avec deux entractes)

Jusqu’au 26 février 2022

A 19 h

 

Opéra national de Paris

Opéra Bastille

Place de la Bastille, 75012 Paris

www.operadeparis.fr

 

 

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