Critiques // « Casimir et Caroline » d’Ödön Von Horvath au Théâtre de la Ville

« Casimir et Caroline » d’Ödön Von Horvath au Théâtre de la Ville

Jan 21, 2010 | Aucun commentaire sur « Casimir et Caroline » d’Ödön Von Horvath au Théâtre de la Ville

Critique de Monique Lancri

Au Théâtre de la Ville, Casimir et Caroline ne se retrouvent que pour se perdre à nouveau !

Ödön von Horvath (1901-1938) écrit « Casimir et Caroline » en 1931. L’Allemagne, qui compte alors six millions de chômeurs, est en pleine crise. Aussi le peuple se complaît-il dans des fêtes qui lui font oublier ses soucis. C’est dans ce contexte que s’ouvre la pièce. Nous sommes à Munich, lors de la fête d’Octobre. Caroline y a traîné son fiancé Casimir. Au chômage depuis la veille, celui-ci n’a guère le coeur de s’amuser. A peine arrivés, les amoureux se chamaillent. Caroline, comme la foule autour d’elle, est fascinée par le zeppelin qui passe au-dessus de leurs têtes, tandis que Casimir, lui, n’y voit « qu’esbrouffe » ! Malentendus, mauvaise foi : les jeunes gens ne vont se fuir et se chercher que pour finir par se séparer.

© Jean-Louis Fernandez

« Je t’aime, moi non plus »

Sur fond de drame social, il n’est donc question que d’amour dans la pièce de Horvath. La mise en scène de Demarcy-Mota semble avoir privilégié la sincérité chez Casimir plutôt que chez Caroline. Casimir (Thomas Durand), fragile, inquiet, pessimiste, passe son temps à guetter Caroline (Elodie Bouchez) ; s’il quitte la fête au bras d’Erna (Sarah Kabasnikoff), c’est plus par dépit que par passion (il n’accompagne d’ailleurs celle-ci qu’après s’être assuré qu’elle n’est pas tuberculeuse!). Il envisage même de se pendre quand Caroline annonce qu’elle le quitte vraiment. Elodie Bouchez campe une Caroline fofolle, un peu dure, un peu naïve aussi, et un brin mélancolique. Une Caroline qui ne vit que dans l’ici et le maintenant : l’ici d’une glace à déguster, le maintenant d’un tour en Grand Huit puis d’un autre dans la décapotable d’un nouveau et riche prétendant…Tourne manège, comme dans « La Ronde » (1900) de Schnitzler: d’abord dans les bras de Casimir, puis dans ceux de Rauch (Alain Libolt). Ensuite ? Casimir de nouveau ; et enfin Schürzinger : pourquoi pas ?

« Emportés par la foule … »

© Jean-Louis Fernandez

Autour des deux protagonistes, dans un décor (un peu trop) expressionniste, tournoient des personnages hauts en couleurs mais noyés dans la foule ; parti-pris de mise en scène : le collectif prend le pas sur l’intime. Car Demarcy-Mota et François Régnault, qui, pour la circonstance, a retraduit la pièce, ont choisi d’insérer entre les scènes « des dialogues à multiples voix, adaptés d’autres oeuvres de Horvath … » ; ce qui a pour effet, et c’est dommage, de distraire l’attention : le spectateur ne sait plus très bien, par exemple, où, dans un groupe de fêtards, se trouve Franz (Gérald Maillet ), le « mauvais garçon », ami de Casimir ; quant à Erna, la compagne de ce dernier, elle se confond trop souvent avec les autres filles. …En revanche, le regard reste accroché à Schûrzinger, malgré la « médiocrité » du personnage, tant la performance de l’acteur (Hugues Quester) est remarquable.

La scène dite du « manège de chevaux » constitue l’un des moments esthétiquement les plus puissants. Très surréaliste, un gigantesque cheval mécanique se détache sur un décor entièrement rouge; non le rouge de la passion, mais celui de l’embrasement futur (prémonition de l’incendie du Reichtag?), avant le dénouement de la pièce dans une quasi obscurité aux tons de cendres, où l’on comprend, comme le dit Demarcy-Mota, « qu’un homme peut devenir un monstre », pire que les monstres exhibés à la foire ! L’aéronef se fait encore entendre, effrayant cette fois. Plus de « Bravos » pour le saluer, comme au début. Mais le silence. Le néant. Ce qui donne force et pertinence au dernier mot prononcé par Casimir : « Rien ».

Casimir et Caroline
De : Ödön Von Horvath
Nouvelle traduction : François Regnault
Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota
Assistant à la mise en scène : Christophe Lemaire
Avec : Thomas Durand, Elodie Bouchez, Hugues Quester, Alain Libolt, Charles-Roger Bour, Gérald Maillet, Sarah Karbasnikoff
Scénographie et lumière : Yves Collet
Environnement sonore : Jefferson Lembeye

Du 19 au 24 janvier 2010

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet, 75 004 Paris
www.theatredelaville-paris.com


Voir aussi :
La critique de Bruno Deslot à propos du livre Casimir et Caroline

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