Lectures // « Caillasses », Laurent Gaudé, Actes Sud.

« Caillasses », Laurent Gaudé, Actes Sud.

Oct 30, 2012 | Aucun commentaire sur « Caillasses », Laurent Gaudé, Actes Sud.

 

 

Lecture de Djalila Dechache


Prix Goncourt en 2004 avec « Le soleil des Scorta », Laurent Gaudé livre une pièce de théâtre au titre à la sonorité aigüe, « Caillasses », en écho avec les bouleversements du monde, suscitant des mouvements de populations pour fuir misère, violence et injustice.

Laurent Gaudé n’en est pas à son premier texte sur ce thème. Il a déjà donné un texte sur la guerre d’Algérie, celle de 14-18, jusqu’à celle de Troie où le magnifique Alexandre dans « Le tigre bleu de l’Euphrate », que Mohamed Rouabhi a porté à la scène un Carlo Brandt si illuminé qu’il est encore dans les mémoires. Cette fois, dans « Caillasses, épopée contemporaine » selon l’auteur, il s’agit plus précisément du conflit israélo-palestinien. Le texte est d’ailleurs dédicacé aux palestiniens.

Utilisant les ressorts du théâtre grec avec chœurs, incantations, larmes et prières « Caillasses » n’échappe pas au registre dramatique, à la tonalité tragique. Un beau texte écrit à l’oreille qui incite à la lecture à voix haute, à l’écoute aussi. Tout est placé sous le signe de la fatalité avec des sursauts de liberté accrochés aux barbelés.

Une collaboration avec le metteur en scène et nouveau directeur du Théâtre du peuple de Bussang, Vincent Goethals, a donné lieu à la création durant l’été 2012 : «J’ai été très heureux que Laurent Gaudé accepte à la fois la commande d’écriture, et ce jeu de va-et-vient et de dialogue entre nous. Cette pièce s’appellera « Caillasses », sera créée au Théâtre du Peuple cet été…Et j’en suis fier! ».

Dans ce texte, sans date ni lieu, Laurent Gaudé construit sa trame en quatre actes et deux parties: il y a un peuple dans un décor de ruines et pierres, tout ce qui reste après un tremblement de terre, qu’il vienne des entrailles du sol ou des hommes. Car il s’agit bien de cela, de la terre qui donne une identité, de la lutte incessante pour la garder. Nous vient à l’esprit l’image de ces enfants avec pour toute défense, leur jeunesse aux mains chargées de pierres. Une « Intifada », un soulèvement historique d’enfants comme il y en a eu rarement dans l’histoire. Un peuple démuni, chassé, cherche à fuir la violence de l’occupant. Face aux soldats, peuple privé de tout, ne lui reste que ses bras et des caillasses pour faire face. Comme des hommes. Et puis il y a l’enfant aux gravats, si jeune et si vieux à la fois, qui traverse le texte et l’histoire. Il y a des passeurs, de l’argent amassé et cette question qui nous absorbe:

Que reste-t-il quand on a tout perdu, quand on a perdu ce qui nous est le plus cher, c’est-à-dire famille, enfants, maison, terre, espérance, lendemains ? Comment se relever, comment survivre ? Et avec quoi ? Dans le célèbre texte du poète mondialement apprécié, Père, pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? Questionnement ô combien symbolique qui résonne comme il se doit chez les arabes,on entend la voix du regretté Mahmoud Darwich invoquer les siens en découvrant que sa maison n’est plus, totalement rasée, supprimée de la carte et du territoire. Perdre sa maison, sa terre, c’est déjà être dans l’exil et vaut pour tout lieu ici-bas. Par certains côtés, le texte de Laurent Gaudé rappelle celui de l’auteur palestinien Ghassan Kanafani, « Retour à Haïfa » un texte très fort et toujours actuel, paru également chez Actes Sud, qui retentit étonnamment avec la lecture de « Caillasses ».

Peu d’auteurs de théâtre ont écrit en langue française sur ce conflit au plus près des choses, avec une telle proximité qui lui vaut de correspondre à tous les conflits de territoire sur cette terre, à toutes les colonisations de peuplement, aux envahissements quels qu’ils soient, hier et aujourd’hui.

Caillasses de Laurent Gaudé, Actes-Sud Papiers, Hors collection 2012,112 pages, 15 €.

http://actes-sud.fr

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