Critiques // « Burn Baby Burn » de Carine Lacroix au Studio-Théâtre de la Comédie Française

« Burn Baby Burn » de Carine Lacroix au Studio-Théâtre de la Comédie Française

Fév 27, 2010 | Aucun commentaire sur « Burn Baby Burn » de Carine Lacroix au Studio-Théâtre de la Comédie Française

Critique de Bruno Deslot

Au milieu de nulle part

« La terre tourne comme une toupie qui s’arrête trop vite. […] Hirip et Violette ne jouent plus à la toupie. Même si l’une des deux a encore un regard émerveillé, c’est par accident. L’autre ne regarde plus. La terre tourne trop vite pour rien. »

Coiffée à la diable, aussi blonde que singulière, avec sa fleur dans les cheveux, habillée d’une longue robe à frous-frous, Hirip se réinvente, s’imagine en braqueuse, serial killeuse ou grande voyageuse devant récupérer un héritage en Italie. Seule, vivant dans une station service désaffectée, elle s’enivre de mots et d’images fantasques, flirtant avec l’irréel. Sa bohème est ici et nulle part, dans un no man’s land à l’américaine, traversé par une route que plus personne n’emprunte. Et pourtant, Violette, en panne d’essence, fait une halte forcée dans cet univers de l’incroyable. Jeune, brune et nerveuse, transportant de la came, sa mobylette lui échappe, tout comme ses rêves. La rencontre obligée, entre les deux adolescentes, se révèle difficile. L’une raconte des histoires improbables, souvent désuètes voire ridicules, l’autre lâche en rafales des bribes de son quotidien tout particulièrement pathétique. Stagiaire dans un salon de coiffure, des parents arrimés à leur poste de télévision, des amours aussi décevants que malsains, Violette n’a pas de rêves puisque « partout c’est de la merde ». Les deux jeunes filles se découvrent, s’attachent malgré tout l’une à l’autre, et se prennent au jeu, à celui de la virée en Italie. Echapper à qui et à quoi ? Un livreur de pizza arrive, les cloches sonnent, il y a bien du monde autour de ce terrain qui paraissait pourtant bien vague.

Des petites échappées

Faut-il que les deux jeunes filles soient prêtes à vivre dans le réel pour pouvoir l’affronter sans dérives ? Dans Le bruit des os qui craquent, Joseph et Elikia tentaient d’échapper à leurs bourreaux, ici, Hirip et Violette basculent dans un ailleurs qu’elles s’inventent et partagent comme un vécu commun. Carine Lacroix fait d’Hirip et Violette, deux jeunes filles « qui ont le sang qui tressaille » en recourant à deux niveaux de langage, celui versant dans une forme de poésie onirique et l’autre, cognant le verbe contre la trivialité du champ lexical de la dévastation. Deux sonorités opposées qui se retrouvent pourtant dans un ailleurs réinventé, comme si la mise en abîme permettait d’échapper sans cesse, à la douloureuse réalité à laquelle les deux jeunes filles veulent et ne veulent pas à la fois être confrontées. Violence faite à l’enfance militarisée dans Le Bruit des os qui craquent, crime expiatoire du livreur de pizza lorsqu’il embrasse la jeune vierge fleurie dans Burn baby burn, la violence, ici, est aussi libératrice et permet de passer d’un monde à un autre, celui de la mort à la vie. Triste fin pour le livreur qui ne sera qu’une ellipse dans le scénario borderline des deux adolescentes s’initiant au rite de passage.

Hirip, ondule comme les blés que l’on voit s’animer sur un écran en fond de scène. Elle est gardienne des lieux et s’accommode d’un décor de fortune pour inviter les gens de passage à un voyage initiatique, parcourant le chemin des possibles. Violette s’est échouée sur l’estran de sa vie dont la pompe à essence constitue le phare qui ne met en lumière que la triste réalité à laquelle elle se heurte. La voix de Gilles David, servant la didascalie aux accents définitivement ironiques, se prête à un rythme très soul music. Violette,« la braise tombée au fond d’un puits », est ranimée par Hirip « la flamme bleue » qui l’emporte dans une course haletante à la vie. La mort d’Issa, le livreur de pizza, consacrera le début ou la fin d’une rencontre, d’une vie possible mise en représentation. Isabelle Gardien (Hirip) n’a pas d’âge. Illuminée et possédée par un désir de fendre l’épaisseur ombreuse des propos de la jeune fille à la mobylette, elle est juste, aérienne, pleine de fraîcheur et de légèreté. Suliane Brahim (Violette), tout en tension, lâche les répliques comme des salves d’artillerie qui n’atteignent jamais sa cible, emportée par une soif de vivre à tout prix. Les cheveux dressés avec du gel, habillé d’un jean noir et d’une veste sportswear, Benjamin Jungers (Issa) est détonnant, tant par son naturel que par son charisme qui font de ce jeune pensionnaire un acteur d’exception.

Du Bruit des os qui craquent à Burn baby burn, les mêmes comédiens passent d’une pièce à l’autre avec toujours autant de sensibilité et de professionnalisme.

Burn Baby Burn
De : Carine Lacroix
Mise en scène et scénographie : Anne-Laure Liégeois
Avec : Isabelle Gardien, Benjamin Jungers, Suliane Brahim, Gilles David

Du 25 février au 7 mars 2010

Studio-Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris
www.comedie-francaise.fr

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