Critiques // « Bulbus »d’Anja Hilling, mis en scène par Daniel Jeanneteau au Théâtre de la Colline

« Bulbus »d’Anja Hilling, mis en scène par Daniel Jeanneteau au Théâtre de la Colline

Jan 21, 2011 | 3 commentaires sur « Bulbus »d’Anja Hilling, mis en scène par Daniel Jeanneteau au Théâtre de la Colline

Critique de Dashiell Donello

Le curling est un sport de précision pratiqué sur la glace avec de lourdes pierres en granite poli. Le but est de placer la pierre le plus près possible d’une cible dessinée sur la glace, appelée maison. C’est aussi la scénographie qu’a choisi Daniel Jeanneteau pour son ennuyeuse mise en scène de « Bulbus ».

© DR

Amalthéa et Manuel sont sur la « maison » de curling. De la glace au-dessus d’eux, autour d’eux. Partout. Ils sont profonds. Amalthéa est silencieuse et Manuel prolixe. Il est l’enfant de parents terroristes. Ils se sont suicidés pour ne pas dénoncer leurs camarades et disqualifier un procès aliénant. Il est à côté de la femme qu’il aime. Il aimerait une réponse de temps en temps. Il raconte une journée d’orage de mai 1983 et veut être embrassé. C’est pour cela qu’il est conteur, pour être embrassé. Il parle d’une blessure, d’une marque. La marque d’un éclair. Sur leur dos un œil unique. Pour voir, il faut entailler. Parce que ce qui entre dans les yeux ne peut plus sortir.  Il faut être au plus près du centre pour sortir vainqueur. La maison  de curling est comme une pupille sur la rétine. Comme un œil qui enquête sur un village, sur les habitants et leur vie ordinaire. Ils jouent au curling et dansent sur des patins. Un moulin à café peut être un événement dans ce village isolé au bas d’une montagne. Une femme flic peut être amoureuse d’un assassin, et un médecin peut passer pour un être de légende chez des gens qui ne sont pas malades. Dans ce village, les autochtones font hiberner leur  mémoire dans un quotidien froid et dépouillé de toute émotion. Leur passé est sous la glace de l’indifférence. Ils ont oublié qu’une génération voudrait exister loin d’Ikea et du terroriste.

© DR

Mais c’est quoi Bulbus ?

Daniel Jeanneteau nous dit : « Toute la pièce est saisie dans la métaphore de l’œil. Bulbus est le terme latin qui désigne le globe oculaire, et, comme au début du « Chien Andalou » de Buñel, il est question d’inciser la rétine pour y pénétrer. » Qu’est-ce que cela veut dire ? L’association d’idée est bien fade et bien lointaine, mise à part l’incision. Laissons donc de côté le chef-d’œuvre de Buñel. À écouter les répliques sans intérêts des personnages, on a assez d’agacements comme cela, sans qu’il soit utile d’en rajouter dans un intellectualisme de comptoir, pas convainquant du tout.
« Au théâtre, l’ennui, tel le diable, peut surgir à chaque moment », nous dit Peter Brook. Ce n’est pas rien de dire que l’ennui vient très vite sur cette piste de curling pas très joueuse. Alors justement que voit-on ? Un long monologue interrompu par des dialogues insipides et ânonné par un comédien qui, comme s’il avait peur que le public ne comprenne pas bien l’histoire d’Anja Hilling, rajoute des longues et des brèves à la façon classique. D’ailleurs l’auteur elle-même ne semble pas maîtriser son sujet. De l’aveu même de Daniel Jeanneteau : « La fin est paradoxale, peu interprétable ». Alors il n’est pas étonnant que l’on reste de glace devant un texte qui nous indiffère. Car le théâtre a besoin que la pièce soit de grande qualité, et « Bulbus » n’est pas un chef-d’œuvre malheureusement. La mise en scène ? Elle n’est pas mieux lotie. Des arrivées latérales mille fois recommencées trahissent un manque d’inspiration évident. Daniel Jeanneteau nous parle de points de fuite clairement repérables, mais il se passe du lointain, des diagonales, des droites, des obliques etc. Sa géométrie intempestive manque singulièrement d’élévations dans un espace qui pourtant ne manque pas de perspectives. Sans ces ingrédients essentiels au théâtre, on ne peut proposer qu’un four. Pas surprenant donc que l’on entende « C’est nul ! », que l’on voit des spectateurs quitter la salle avant la fin et que l’on surprenne le public, malgré tout poli, à taper dans ses mains en baillant. Le tout dans un théâtre national.

Bulbus
De : Anja Hilling
Traduction de l’allemand : Henri Christophe
Mise en scène et scénographie : Daniel Jeanneteau
Collaboration artistique et lumières : Marie-Christine Soma
Musique : Alexandre Meyer
Costumes : Olga Karpinsky
Avec : Ève-Chems de Brouwer, Dominique Frot, Johan Leysen, Serge Maggiani, Julien Polet, Marlène Saldana

Du 19 janvier au 12 février 2011

Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75 020 Paris
www.colline.fr

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