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Critique • « Brume de dieu » Claude Régy nous met en transe à la Ménagerie de Verre

Sep 17, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Brume de dieu » Claude Régy nous met en transe à la Ménagerie de Verre

Critique de Dashiell Donello

Quelques spectateurs tardent à prendre place. Le silence est demandé par le public. Est-il initié ? Une harmonie tacite amène une certaine paix intérieure. Nous sommes immergé de nuit et de solitude. La lumière noire nous envahit, nous enserre, comme une vague d’océan. Nous sommes dans la gueule de notre moi profond. La méditation se met en marche. Cela trotte sous le capot nocturne. Un éternuement peut rompre cette solennité païenne. Nous ressentons le danger de la non voyance. Toutes pensées nous traversent. Pourquoi mon voisin se raidit ? Que me veut ma voisine ? Je connais ce parfum. Chut ! Il y a un imperceptible bruit. A-t-on éteint toutes les machines électroniques ? Une expiration ose se souffler dans l’espace. Le noir prend de la couleur, se respire, et semble rosir à cour et à jardin. Est-ce « La brume de Dieu » ?

© Brigitte Enguerand

Un voyage sous hypnose

Le vide se fait en nous. Nous allons à l’hypnose sensorielle. La concentration est absolue. Les ondoiements d’espace nous font apparaître des visions. Cela bouge partout. Pourtant il n’y a rien. Rien. Rien. Si, voilà un presque un éclat de lumière. Un papillon qui vole, un éphémère du temps. Une silhouette fantomatique. Cela irradie un visage, un corps, une marche. C’est un jeune homme concentré dans son errance. Il engendre, à chaque pas, un lieu de culte par sa traversée méticuleuse. Il vient d’un horizon qui se devine, mais qui ne fait pas lien entre la terre et l’élément figé d’un lac. Enfin il vient du lointain, de loin, très loin. Il est tout en rythme. Sur un tempo très lent. Ses pieds parlent au sol. Il flotte sur un embrun cristallin. Il s’arrête. Repart. Marche de nouveau. Reste. Non. Il demeure. Le mot est plus approprié. Il semble être un demeuré, c’est le rythme d’un demeuré. Ses yeux ne regardent pas. Il fixe un point indicible, perdu dans la brume de ses prunelles. Maintenant c’est nous qui marchons. C’était trop dur d’être le personnage principal de cette façon là. Alors nous marchons en lui, et lui en nous. Il entend le murmure du vent, qu’il y ait murmure ou qu’il n’y en ait pas. A son tour, il murmure du bout des lèvres une syllabe, un mot, une phrase dans une langue inexplorée qui peu à peu s’apprend. De l’incompréhension labiale, nous passons à la pratique experte d’un idiome articulé. Notre idiot céleste murmure dans la vague de l’eau. Cet innocent, ce surdoué des signes connaît la langue des oiseaux. L’eau monte. La barque est percée. Il écope. Il écope. Il écope. Il hurle avant la mort, dans son habit de nuit. Il crie vis-à-vis d’elle. Sa présence est telle qu’il se fige dans l’effroi. Son esprit simple ne peut plus rêvasser. Silence. C’est l’instant interdit.

Un moment unique

« Brume de Dieu » est l’adaptation d’un extrait de « Les Oiseaux », le roman de Tarjei Vesaas. Au chapitre où Mattis traverse un lac dans une barque qui prend l’eau et menace de couler.
Claude Régy pense qu’il est plus juste de prendre un extrait intégral pour le faire entendre sous la forme d’un récit : « Je pense que le récit a quelque chose de plus fascinant que le dialogue. » Il a emprunté le titre au poème de Pessoa, « Ode maritime » Avec ce récit, c’est l’histoire de tous les êtres qui se raconte. Il a trouvé en la personne de Laurent Cazanave un comédien qui n’a pas peur d’aller jusqu’à la transe en faisant de la contrainte du jeu, et de la mise en scène, une force. Car le théâtre chez Claude Régy n’est pas un art confortable, il faut travailler dur pour l’atteindre. Le public n’est pas assisté. Il est aussi acteur de la représentation. Il fait du théâtre avec lui, dans une autre dimension de son être. Un moment unique.

Brume de Dieu
De : Tarjei Vesaas, extrait de « Les Oiseaux »
Traduction : Régis Boyer
Mise en scène : Claude Régy
Assistant à la mise en scène : Alexandre Barry
Avec : Laurent Cazanave
Scénographie : Sallahdyn Kathir
Lumière : Remi Godfroy
Son : Philippe Cachia

Du 15 septembre au 22 octobre 2011
Du lundi au samedi à 20h30
Dans le cadre du
Festival d’Automne à Paris

La Ménagerie de Verre
12-14, rue Léchevin, Paris 11e
Métro Parmentier – Réservations 01 43 38 33 44
www.menagerie-de-verre.org

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