ƒƒƒ article de Denis Sanglard
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Britannicus mise en scène par Stéphane Braunschweig est une implacable et magistrale démonstration de la machine politique. La fabrication d’un tyran. L’enlèvement de Junie signe le premier acte de ce retournement. Stéphane Braunschweig met à jour un à un les mécanismes de cette métamorphose. La chute d’ Agrippine, l’impuissance et la lucidité de Burrhus, l’élimination politique de Britannicus, la trahison de Narcisse. Sans rien négliger de l’affect qui brouille et déplace les enjeux politiques. C’est une lecture pertinente, aigüe, intelligente qui n’omet en rien les ambiguïtés des personnages. Seulement Stéphane Brauschweig reste sur une crête, celle du politique, qu’il suit, décortiquant minutieusement les relations d’intérêt qui lient chacun des personnages. Nous sommes dans une stratégie de conquête du pouvoir que souligne l’austère scénographie, cette table de conseil auprès de laquelle chacun rêve de s’approcher sinon de s’y assoir. On passe ainsi de l’antichambre traditionnelle, les coulisses du pouvoir, là où au début patiente Agrippine, au centre même de celui ci. C’est là, autour de cette table, que se noue et se dénouera la crise, affirmant de fait cette lecture politique de la pièce de Racine. C’est là aussi que Junie (Georgia Scalliet, sensible et forte à la fois, juste) est projetée devenant ainsi l’otage « diplomatique », un enjeu entre Agrippine et Néron. Stéphane Brauschweig, comme le fit Chéreau dans Phèdre pour Hyppolite, mais avec une lecture plus politique et moins spectaculaire, projette le crime sur le plateau avec l’exposition du cadavre de Britannicus. C’est acté définitivement la tyrannie et la chute d’Agrippine. Il y a comme soudain une réalité, une violence des faits, la parole trahie qui s’engouffre sur le plateau.
C’est d’autant plus violent que cette mise en scène surprend par ce ton feutré tenu de bout en bout. Ni démonstrations, ni éclats de voix. Sauf un très bref instant vite retenu. Mais une tension palpable et maîtrisée qui jamais ne retombe. Ce sont, à l’image d’Agrippine, des monstres froids. Agrippine, formidable Dominique Blanc, machiavélique, véritable animal politique, pour laquelle Néron n’est qu’un pion pour assoir son autorité sur Rome. Il y a cette image qui les trahit l’un et l’autre, qui trahit leur peu de sentiments l’un pour l’autre. Une maladroite effusion en conclusion d’un accord qui devient grotesque, suintant la fausseté, chacun ignorant comment simplement s’étreindre. Stéphane Braunschweigh souligne chaque caractère, en extrait les ambiguïtés mais surtout met en valeur leurs discours, dégraissés de tout affect. On n’a sans doute jamais entendu aussi bien Burrhus, Hervé Pierre, dont la parole et l’expérience confrontée aux évènements deviennent prophétiques. Hervé Pierre en fait un homme d’état sans passion autre que sa fonction, au regard lucide. Homme dont le compromis entraînera sa chute. Même Narcisse n’est plus un traitre de théâtre. Lui aussi, souligne Stéphane Brauschweig, est un politique dont le passé est à prendre en compte. Benjamin Lavernhe en fait un homme affranchi, doublement, dont les enjeux sont avant tout pour lui aussi politiques dans son opposition à Agrippine. Britannicus lui même (Stéphane Varupenne) sur qui les regards se tournent porte en lui des ambitions. Tous ces discours sur le pouvoir, sur l’ambition des uns et des autres, dans cette mise en scène éclairée entrent formidablement en résonnance, soulignent les contradictions, les compromissions et les mensonges. C’est une des forces de cette mise en scène de n’effacer aucun des personnages au profit de la relation exclusive, la rivalité entre Agrippine et Néron. De chercher en eux, et dans le texte très précis de Racine, il faut l’entendre et nous l’entendons ici avec grande clarté, les raisons de leurs ambiguïtés et de leurs ambitions qui ne peuvent se trouver, exacerbées dans ce lieu ou s’exerce le pouvoir, que dans cette proximité, historique et politique avec celui ci. Agrippine n’oublie jamais de souligner ce qui l’attache à Rome, sa famille et les alliances contractées. C’est également un portrait en creux de Néron, Laurent Stocker, enjeu des ambitions de tous, qui au sein de ces discours cherche sa propre voix au risque de la tyrannie. L’affranchissement en sera le prix. Tuer la mère quand il n’y a pas d’affect n’est qu’un geste politique, une raison d’état. Ce n’est pas la mère que l’on tue c’est l’ennemi politique. En cela rien de « monstrueux ». Agrippine le sait qui a engagé ce combat dont elle connaît l’issue. C’est cette froideur des personnages dans l’analyse du pouvoir qui se met en place, même Junie au delà de son amour pour Britannicus connaît les enjeux dont elle est le centre, qui donne à cette mise en scène sa valeur. Racine n’a cessé d’interroger le pouvoir, même dans Bérénice, Stéphane Braunschweig reprend avec justesse et intelligence cette interrogation qu’il remet au cœur de Britannicus.
On ne saurait bien évidemment éluder la question de la langue. Stéphane Braunschweig s’appuie concrètement sur la langue de Racine extrêmement concise. Entendre Dominique Blanc décortiquer, mastiquer cette langue sans effort, c’est avant toute chose entendre une analyse politique très précise, fine dont la poésie ne tient qu’à l’alexandrin. Ici souligné sans démonstration. C’est le parti de « la ligne droite » qui voit le sentiment, la pensée, le discours être privilégié. C’est ce qui donne cette extraordinaire fluidité et cette précision toute racinienne qui se répercute dans la mise en scène, telle une colonne vertébrale, et fait de cette langue aussi un instrument de pouvoir. Entendre Burrhus, entendre Narcisse, entendre Agrippine c’est comprendre une dialectique aussi précise que concise. C’est dans la fluidité du discours et sa maîtrise que l’intelligence des personnages éclate. Laurent Stocker, Néron, en joue habilement qui heurte la scansion racinienne tant que n’est pas abouti son projet. C’est d’autant plus flagrant face à Agrippine. C’est avant tout par le discours et sa maîtrise obtenus qu’il devient le tyran. La mise en scène de Stéphane Braunschweig est une belle réussite en ce sens où il trouve ce juste équilibre entre le fond et la forme. Cette forme précise qui est aussi un discours en soi. Et sans jamais trahir Racine.
Britannicus de Jean Racine
mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig
avec la troupe de la Comédie Française : Clotilde de Bayser, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Benjamin Lavernhe, Dominique Blanc
et les élèves comédiens, Théo Comby Lemaitre, Hugue Duchêne, Laurent Robert
Costumes, Thibault Vancraenenbroeuck
lumières, Marion Hewlett
Son, Xavier Jacquot
collaboration artistique, Anne-Françoise benhamou
Collaboration à la scènographie Alexandre de Dardel
maquillages, Karine Guillem
assistanat à la mise en scène, Laurence Kélépikis
Comédie Française
place Colette
75001 Paris
en alternance du 7 mai au 23 juillet 2016
matinée à 14h, soirée à 20h30
réservations: 01 44 58 15 15
et au guichet
www.comedie-francaise.fr
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