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Bovary, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, au Théâtre de la Bastille

Fév 23, 2018 | Commentaires fermés sur Bovary, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, au Théâtre de la Bastille

 

© Pierre Grosbois

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

Tiago Rodrigues comme un pied de nez magistral au moralisme ambiant, louchant peut-être sur les déboires récents de Roméo Castelluci ou de Rodrigo Garcia dont Civitas et consort réac réclamaient la tête, met en scène le procès intenté par le ministère public à Flaubert lors de la parution en feuilleton de Madame Bovary. Procès pour immoralisme, apologie de l’adultère, atteinte aux mœurs et à la religion. Tiago Rodrigues avec beaucoup de doigté, de subtilité, doucement nous fait rentrer dans l’œuvre elle-même. L’avocat impérial, monsieur Pinard, dont Flaubert lui-même reconnaît avec douleur et lucidité combien il a parfaitement compris son projet littéraire, contrairement à son propre avocat, n’est pas une brute mais bien un lecteur averti et fin. C’est aussi au style de Flaubert qu’il est fait procès à travers cet hommage paradoxal de l’accusation. Et de citations en citations, peu à peu c’est dans l’œuvre tout entière que nous nous immergeons, dans toutes ces pages qui envahissent le plateau et que foulent les comédiens. Alors rien que de très logique de découvrir Emma Bovary elle-même, après tout c’est aussi son procès, sur le plateau, défendant sa cause, pages après pages. C’est d’ailleurs un portrait touchant qu’en fait Tiago Rodrigues. S’appuyant exclusivement sur l’œuvre il met à nu la mécanique implacable qui mène Emma Bovary au désastre. Elle qui ne cesse de rêver d’une vie « comme dans les livres. » Il faut ainsi voir l’exaltation d’Emma Bovary dans la scène du bal qui n’a d’égale que la souffrance de son insatisfaction. Ce basculement dans l’œuvre brouille peu à peu les frontières entre le procès, l’œuvre et sa reconstitution théâtrale et même le public pris comme témoin et sans doute aussi juré de ce procès insensé. Une mise en scène de l’œuvre donc qui se greffe au procès et voit les avocats endosser tour à tour qui Lheureux l’usurier ou Léon le jeune amant tout en bougeant les paravents qui servent de décors. Suprême ironie de voir également l’avocat impérial Pinard devenir Rodolphe l’amant d’Emma. Et pour brouiller davantage encore les frontières de plus en plus ténues entre l’œuvre citée mise en scène et le procès, dans une séquence hilarante et déroutante on ne sait plus très bien qui de Maître Pinard ou de Rodolphe embrasse avec fureur, goulûment, Emma Bovary. Tiago Rodrigues, citations après citations, pages après pages démonte l’œuvre, la remonte tout en restant fidèle au style. Car c’est bien du style de Flaubert dont il est aussi question. C’est une dissection d’Emma Bovary, l’œuvre et le personnage éponyme et de la particularité de l’écriture de l’ermite de Croisset. Un personnage qui, comme le montre le baiser de maître Pinard/Rodolphe, déstabilise qui l’approche, Charles Bovary le premier. Et le lecteur. C’est à cette déstabilisation, dont le procès est le comble, que s’attache également Tiago Rodrigues. Parce que ce malaise devant une vérité nue, même littéraire, dénonce une société malade. CQFD.

On sait combien Flaubert, fils de chirurgien, aimait à regarder les cadavres de la morgue et observer les mouches qui se posaient de l’un à l’autre. C’est un peu ça cette mise en scène. Tiago Rodrigues dissèque l’œuvre au regard du procès et des minutes de celui-ci, observe les frottements entre les deux et restitue le tout avec minutie. Sa mise en scène pendule de l’un à l’autre, avec en écho le témoignage de Flaubert sommé de se taire lequel dans sa correspondance juge son procès, avant que de se métamorphoser en un objet théâtral intelligent, jubilatoire, pertinent et drôle. Avec suffisamment de distance pour faire jouer l’avocat impérial Pinard par une femme. Tiago Rodrigues fait ainsi résonner toutes ces pages noircies et dresse un portrait d’Emma Bovary sortie au bout du compte définitivement du roman pour devenir au choix un personnage théâtral, un caractère à part entière. Voir un symptôme, le bovarysme. Comment ne pas y voir aussi, par ce procès, le reflet à peine voilé de notre propre société déliquescente. Car le fond de cette affaire c’est bien aussi le rôle de l’artiste et de son engagement devant la morale et l’hypocrisie du ministère public autrement dit la norme sociale imposée. Cette mise en scène/mise en abyme, cette création est encore une fois une belle réussite. Elle touche à la grâce. Cela tient aussi aux acteurs, soudés autour de ce projet, complices talentueux et rigolards de Tiago Rodrigues, jouant avec une légèreté et un bonheur évident ce procès. Madame Bovary ce sont eux !

 

Bovary texte et mise en scène Tiago Rodrigues

D’après le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert et le procès de Flaubert

Avec Mathieu Boisliveau, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alma Palacios et Ruth Vega Fernandez

Traduction française  Thomas Resendes
Lumières  Nuno Meira
Scénographie et costumes  Angela Rocha
Construction décor  Marion Abeille
Régie générale  Frank Condat & Véronique Bosi
Régie lumière  Simon Fritschi
Diffusion  Carol Ghionda
Administration de production  Juliette Roels – Théâtre de la Bastille
Administration de tournée  Julie Le Gall & Hanna El Fakir – CoKot
Avec le soutien de l’équipe du Teatro Nacional D.Maria II
Production executive  Rita Forjaz
Chef habilleuse  Aldina Jesus
Habilleuse  Graça Cunha, Lurdes Antunes
Souffleuse Cristina Vidal

Du 1er au 17 mars 2018 à 20h
Du 19 au 28 mars à 21h

Relâche les dimanches

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette
75011 Paris

Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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