Paroles d'Auteurs // « Blanches » de Fabrice Melquiot

« Blanches » de Fabrice Melquiot

Mai 10, 2010 | Aucun commentaire sur « Blanches » de Fabrice Melquiot

Lecture d’Anne-Marie Watelet

Que ceux qui n’ont pas le goût des dialogues tendres, naïfs et drôles n’ouvrent pas ce livre ! Avec les autres entrons gaiement dans la ronde d’une petite fille et de sa grand-mère, liées par l’affection et l’esprit, mais éloignées sur le fil du temps.

Pourtant cet éloignement n’empêche pas la petite Ouais et sa mémé Blanche d’être sur la même longueur d’onde. Celle-ci, veuve depuis peu, n’a guère de visites que de la chère petite fille, et ensemble, elles forment un fameux duo, leur esprit est un sac à malices ! L’une pose des questions sur le passé de ses grands parents, l’autre aime à lui raconter quelques souvenirs ; et très vite d’autres sujets, d’autres jeux les appellent. Dans la joie que procure l’innocence – celle de Ouais et celle que peut provoquer le dérèglement mental chez une grand-mère. Jusque-là, nous dira-t-on, rien de plus banal. Or leurs dialogues sont truculents, parce que toutes deux sont vives, perspicaces et pleines d’humour. Ouais embarque mémé Blanche dans son monde fantasque d’enfant (à la fin, sur une montgolfière qu’elle a dessinée, pour rattraper celui qui a volé « ce truc qu’elle a dans la tête »), la remet parfois « sur les rails » lorsqu’elle confond par exemple les saisons ; et mémé Blanche, elle, montre à la petite combien la vie est plus belle quand on aime, et que l’on joue avec les mots. Nous tourbillonnons, attendris et amusés, avec ces deux « p’tits bouts de femme », à l’imagination débordante .

N’y a t-il pas, cependant, quelque chose de plus profond destiné à nous questionner ?

Début et fin de vie, et la même innocence en apparence. Enfance et vieillesse réunies. L’une ignore le sens du mot « mort », l’autre la côtoie, mais dans l’oubli, l’inconscience. Car elle est si heureuse de vivre ! Mais elle la côtoie à travers les défunts de sa famille, lorsqu’elle attarde son regard sur la pendule et son balancier – comme font les Vieux dans la chanson de Jacques Brel ; ou qu’elle remarque la beauté défraîchie d’un objet. Et sans amertume, elle fait descendre du Ciel son Lulu bien-aimé pour lui servir le thé ! Ainsi le grand-père est bien là, quelque part « …dans les feuilles des arbres […] dans le creux de la vague … ». Présence de l’âme qui résiste au temps. Et la fillette de même, écrit à son grand-père avec ingénuité, attendant des réponses. L’auteur montre subtilement comment la régression mentale de la vieille dame rejoint l’innocence de l’enfance (inventions de choses et mots extraordinaires) ; sauf que ce retour se fait avec la fragilité du verre qui se brise au moindre choc : pertes de mémoire, actes ou propos incompréhensibles. Mais mémé Blanche retombe vite sur ses pieds, sait intéresser Ouais, même si celles-ci ne sont pas du goût des parents car trop fantaisistes ! L’auteur pose la question du temps, celui dans lequel nous sommes enfermés au quotidien : là il se moque de ceux qui, comme la fille de mémé Blanche, disent « Je n’ai pas le temps ! » et remettent à plus tard. Et jouant sur les sens de ce mot, il fait dire à la grand-mère, s’adressant au médecin : « C’est ma fille qui oublie sa mère, ne vous y trompez pas ! » Belle victoire de l’esprit sur les consciences éteintes, sur « le temps des aveugles, le temps des fantoches » fait dire Melquiot à l’un de ses personnages dans Je rien Te Deum. Bone, dans son désir de vivre, marche sur le fil menant à la 2éme Tour de Mannhattan un 11 septembre…Sauvé ? Non. Dans sa chute, il regarde, « cool », la mort qui gagne…Et lui veut retourner « chez lui », dans la matrice qui l’a fait naître. Ici l’image de la photo de Lulu conservée au « frigo » n’est elle pas la volonté naïve de retarder la marche inexorable du temps ?

Si les années abîment lentement le corps et l’esprit, l’auteur nous montre avec tendresse et humour que l’important est d’être présent au monde et à la minute, à l’instant qui est nôtre. La conscience en éveil, l’inquiétude même, nous évite quelque peu au moins, d’échapper à soi-même. Entre le temps à vivre de Ouais et le temps qui n’est plus de sa grand-mère, nous sommes invités à réfléchir, et cela grâce au talent de Melquiot, à sa propre inclination à la réflexion. En même temps, quel plaisir de lire le jeu drôle et ingénu des personnages, dans une écriture simple et colorée au rythme dansant !

Blanches
De Fabrice Melquiot

L’Arche Editeur
86, rue Bonaparte, 75006 Paris

www.arche-editeur.com

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