Critiques // « Black’n’blues » de Mark Tompkins, du théâtre musical à la Villette

« Black’n’blues » de Mark Tompkins, du théâtre musical à la Villette

Juin 24, 2011 | Aucun commentaire sur « Black’n’blues » de Mark Tompkins, du théâtre musical à la Villette

Critique de Denis Sanglard

Mark Tompkins n’est jamais là où on l’attend. Danseur, chorégraphe, musicien, chaque pièce de lui joue avec les frontières du genre. S’emparant du minstrel show et de là parcourant plus de cent cinquante ans d’histoire musicale afro-américaine il balaye magistralement les préjugés raciaux.

© Gilles Toutevoix

Le Minstrel Show et le Blackface, spectacles parodiques populaires apparus au dix-neuvième siècle où des « Blancs grimés en noirs imitent des Noirs qui singent des Blancs », avant que les noirs ne s’emparent de cette tradition, tient du cabaret, du vaudeville, du burlesque, du slapstick, de la stand-up comédie. Jouant de cette tradition, Mark Tompkins très subtilement interroge les codes qui régissent nos identités. Ou comment la caricature raciste initiale devient par ceux là même qui en sont victimes une revendication identitaire ambiguë car elle-même sujette à son tour à la caricature. Un jeu de miroir constant, de renversement permanent des codes et enjeux complexes entre Blancs et Noirs, hommes et femmes, maîtres et esclaves. De là, Juifs, Arabes, Jaunes, Pédés…Nous sommes toujours le nègre de quelqu’un. Mark Tompkins se jouant de la chronologie glisse ça et là des allusions à notre époque où ces enjeux identitaires sont devenus cruciaux et polémiques.

Dans ce cabaret de toile et de planche (scénographie, réussie, de Jean-Louis Badet) quatre performeuses déchaînées (deux noires et deux blanches dont une russe, ce qui a son importance), un musicien déjanté et l’Oncle Sam remontent le cours du temps. Hommes ou femmes c’est selon et tour à tour « coons », « Mamas », rockeur(ses) pour terminer rappeur(ses), c’est toute l’histoire emblématique d’une revendication politique et critique portée par la musique et la danse. Mark Tompkins habilement distille et décline ça et là certaines « marques de fabrique », pour ne pas dire tics, aisément reconnaissables, comme autant de marqueurs emblématiques d’une certaine culture et d’une époque. Grossissant le trait il met le doigt sur l’ambivalence constante de chaque apport artistique. Ce qui devient spécifique et propre à une culture sert de levier à ses détracteurs et s‘offre à la caricature. Il faut entendre ce discours incroyable et d’un racisme outrancier, authentique, d’un commentateur analysant la naissance du rock et sa dangerosité pour les populations blanches… Mark Tompkins ne perd jamais de vu que sous la caricature persiste une souffrance identitaire. Des deux côtés. Que l’intégration est parfois un faux-nez pour les bonnes consciences. Et si l’on rit beaucoup de ses parodies successives et réussies nous sommes soudain fauchés par un blues déchirant. Simple rappel à l’ordre. Et que tout n’est pas blanc, que tout n’est pas noir.

Black’n blues
A minstrel show

Direction artistique : Mark Tompkins
Avec : Geoffrey Carey, Mathieu Grenier, Séverine Beauvais, Dorothée Munyaneza, Antje Schur/Yullia Tokareva, Isnelle da Silveira
Scénographie et costumes : Jean-Louis Badet
Lumières et direction technique : David Farine
Arrangement Musicaux : Mathieu Grenier

Du 21 au 25 juin 2011

Grande Halle de la Villette
211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris
www.villette.com

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