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Bestie di scena (Bêtes de scène), de Emma Dante, Au Rond-Point

Fév 11, 2018 | Commentaires fermés sur Bestie di scena (Bêtes de scène), de Emma Dante, Au Rond-Point

f article de Denis Sanglard

© Christophe Raynaud de Lage

ils sont nus comme au premier jour de leur vie. Et muets. Le regard droit fixant la salle, pudique, fragile, soumis. Quelque peu désemparés sur ce plateau vide dont les issues leurs sont interdites. Quelques pétards lancés des coulisses les dissuadent vite d’en sortir. Peu à peu s’organise un étrange ballet. Des accessoires lancés sur le plateau ou descendus des cintres, bidons d’eau, poupées, boîtes à musique, ballons, serpillères, cacahouettes, balais… ils vont s’emparer, improviser, jouer. C’est une étrange humanité qui doucement émerge, s’organise. D’abord compacte, comme un seul homme, le chaos surgit bientôt et le groupe explose. Les différences se font, naissent les conflits, apparaît la solidarité. Etranges animaux que ces quatorze sur le plateau, à poil donc, perdant progressivement toute pudeur, s’exposant bientôt sans complexe, jouant de cette nudité comme un accessoire et dans un ultime sursaut refusent les vêtements jetés pour les couvrir enfin, et saluent ainsi dans l’affirmation de cette nudité qui les affranchit. Etrange création en fait où l’on ne sait pas très bien si c’est du lard ou du cochon. Entre provocation vaine et construction réfléchie, on est quelque peu partagé, dubitatif. On songe à Beckett, Acte sans parole I, où l’individu réagissait au stimulus provoqué par des accessoires surgissants sur le plateau, pièce ô combien radicale et désespérante. Avec Emma Dante, quoiqu’elle s’en défende, c’est bien plus joyeux et ludique. Surtout la nudité dans la création contemporaine, particulièrement dans la danse et depuis Isadora Duncan, est devenue un objet de réflexion qui voit le meilleur comme le pire. Là, sans être gratuit, sans être le pire, cela ne semble pas apporter grand chose de plus dans ce vaste mouvement. Non que l’on soit blasé ou pudique mais pour une création comme Tragédie d’Olivier Dubois, bien plus forte, ou mieux encore Jérôme Bel par Jérôme Bel, bien plus radicale, combien de pièces tombent à plat parce qu’affichant délibèrement cette nudité qu’elle affirme d’emblée comme un enjeux mais se trouve désemparé devant elle. C’est un peu à tout ça que l’on pense devant Bestie di scena. Ce n’est pas un mauvais spectacle en soi mais l’ambition affichée d’Emma Dante, « trouver la vérité d’un corps », ne fait pas mouche. On s’amuse, on rit, il y a des moments de grâce, parfois, mais cela ne suffit pas. La vérité d’un corps est ailleurs, pas toujours dans l’exibition frontale et contrainte. Du moins pas ici où le mouvement qui révèle fait place à l’agitation qui dissipe. Et cette contrainte actée on la perçoit, comme un défi imposé auquel on ne renonce pas malgré le risque de l’échec. Rien de plus fragile que la nudité sur un plateau par le regard qu’on lui porte. Et qui peut se retourner contre elle. Le premier regard d’Emma Dante, elle le dit, fut de la gène devant ces acteurs nus. Bien plus nus que mis à nu. Et c’est ce regard-là que l’on perçoit, cette gêne, malgré la magnifique impudeur des acteurs. Et c’est cette mise à nu plus que leur nudité que l’on aurait souhaité découvrir davantage. Ce qui peut sauver néanmoins et malgré tout cette création c’est l’innocence, feinte ou réelle, que l’on perçoit sur le plateau. Un goût de paradis perdu, même si un peu toc, d’enfance retrouvée, même si c’est faux. Ce n’est pas si mal et désamorce toute polémique, tout scandale et malheureusement toute réflexion…

Bestie di scena (Bêtes de scène) de Emma Dante

Avec Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Viola Carinci, Italia Carroccio, Davide Celona, Sabino Civilleri, Roberto Galbo, Carmine Maringola, Ivano Picciallo, Leonarda Saffi, Daniele Savarino, Stephane Taillandier, Marta Zollet
Et avec Daniela Macaluso et Gabriele Gugliara
Décor Emma Dante
Lumières Cristian Zucaro
Directeur de plateau Gabriele Gugliara
Assistanat à la production Daniela Gusmano
Coordination et diffusion Aldo Miguel Grompone

Du 6 au 25 février 2018 à 21h
Dimanche 15h-relâche les lundis et le 13 février

Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

M° Franlin D. Roosevelt ( ligne 1 et 9) ou Champs Elysées-Clémenceau (ligne 1 et 13)
Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
 

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