À l'affiche, Critiques // Bérénice de Jean Racine, mise en scène de Célie Pauthe, Odéon-Berthier

Bérénice de Jean Racine, mise en scène de Célie Pauthe, Odéon-Berthier

Mai 14, 2018 | Commentaires fermés sur Bérénice de Jean Racine, mise en scène de Célie Pauthe, Odéon-Berthier

ƒƒ article de Denis Sanglard

© Elizabeth Carecchio

Bérénice où le vertige de la douleur. Dans cette tragédie de Racine où tout est joué d’avance – le roi est mort, vive le roi : Titus ne peut épouser Bérénice – où la fin est dans le commencement, tragédie du rien, du vide donc, Racine le janséniste, cela a son importance, élimine tout ce qui peut faire obstacle à son sujet, la passion amoureuse, l’amour fou et absolu sacrifié au politique. Dans ce rien s’engouffre avec fracas toute la souffrance et sa violence d’une passion rompue par l’exercice obligé du pouvoir. Titus succédant à Vespasien son père ne peut que renoncer à Bérénice. Ainsi l’exige la loi romaine où une reine étrangère ne peut épouser un empereur romain. La figure de Bérénice est héroïque dans le sacrifice consentie, l’adieu, non dans la mort un temps envisagée. La tragédie est là, dans le renoncement et dans le vivre encore. Celui de Titus et de Bérénice, celui d’Antiochus. Antiochus, le témoin de cette tragédie dont il est lui-même victime, amoureux de Bérénice qui, renonçant à Titus, renonce également à lui,  élève la douleur de cette figure exemplaire, lui offrant une légitimité également tragique. Cette douleur, ce chaos, Célie Pauthe en fait le cœur battant de sa mise en scène. La difficulté résidant en l’absence d’artifice dramaturgique et sa mise à nu volontaire qui libère ainsi le verbe, porté ici à son incandescence. La construction dramatique de Bérénice est dans cette parole qui circule et avec elle les enjeux et les passions. Célie Pauthe se retrouve quelque peu en rade, embarrassée par ce vide qu’elle ne réussit pas à combler vraiment. Il y a comme une hésitation devant une solution dramaturgique qu’on peine à trouver. Distingué et assommant, pour reprendre Paul Claudel, on craint le pire. C’est le piège de Racine dans Bérénice, trébucher devant ce « rien »… Il faut attendre le quatrième acte, la confrontation entre Bérénice et Titus pourqu’ existe sur le plateau une vraie tension qui jusqu’ici manquait cruellement. Enfin le cinquième pour porter à son acmé la tragédie. Là, Célie Pauthe fait enfin confiance à la parole racinienne et ne cherche rien d’autre qu’à la mettre non en scène mais en situation. Autrement dit libre et sans carcan scénique inutile. Il n’y a rien à démontrer, seulement à entendre. Tout, absolument, est dans la parole proférée et le souffle tragique. Et une autre voix se fait entendre, un fil ténu que Célie Pauthe déroule, celle de Marguerite Duras. Inspirée par Bérénice, M.D réalise en 1979 un court métrage, Césarée, que Célie Pauthe intègre dans sa mise en scène. Superbe texte et voix inimitable, mais qui parasitent l’élan de la tragédie et détourne son propos comme une incise inutile. Qu’importe que Bérénice soit la source des héroïnes durassiennes, que ce texte en soit la clef, que Bérénice soit l’archétype de la passion et de son engagement absolu au risque de la perte et de l’abandon, que Duras soit un guide sensible  pour Célie Pauthe, qu’importe donc, Bérénice n’a d’équivalent qu’elle-même ici. Mélodie Richard prête sa grâce blessée et son corps gracile, mouvant, sa voix singulière et changeante au grès des sentiments qui la broient, à Bérénice. Elle est tout simplement bouleversante, incandescente. De cette mise en scène sans véritable éclat elle illumine et phosphore de ses apparitions, de son jeu d’une grande subtilité, cette tragédie aride et où la passion à vif écorche ce personnage qui ne demande aucun compromis, toute entier dans l’engagement amoureux et le sacrifice. C’est pour Mélodie Richard qu’il faut découvrir cette Bérénice foudroyée dont l’interprétation sensible, intelligente et sans excès inutiles, l’inscrit parmi sans doute nos trop rares tragédiennes françaises.

 

Bérénice de Jean Racine
Mise en scène de Célie Pauthe
Avec Clément Bresson, Marie Fortuit, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi , Mélodie Richard, Hakim Romatif
Collaboration artistique  Denis Loubaton
Assistante à la mise en scène  Marie Fortuit
Scénographie Guillaume Delaveau
Lumières  Sébastien Michaud
Costumes Anaïs Romand
Musique et son Aline Loustalot
Vidéo François Weber
Accompagnée de Césarée (1979), court métrage de Marguerite Duras
Texte et réalisation de marguerite Duras
Image Pierre Lhomme, Michel Cenet, Eric Dumage
Musique Amy Flamer
Montage Geneviève Dufour
Mixage Geneviève Dufour
Mixage et son Dominique Hennequin
Production Film du Losange

Du 11 mai au 10 juin 2018
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h

Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier
1 rue A. Suares
75017 Paris

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